Chroniques

par hervé könig

Giuseppe Verdi | Messa da Requiem
Tatiana Serjan, Olga Borodina, Otra Jorjikia, Vladimir Feliauer

Orfeón Pamplonés, Orchestre du Théâtre Mariinski, Valery Gergiev
Euskalduna Jauregia, Bilbao
- 23 janvier 2017
à l'Euskalduna Jauregia de Bilbao, Valery Gergiev joue le Requiem de Verdi
© alexander shapounov

Il serait bien tentant de suivre pas à pas la grande tournée espagnole de l’Orchestre du Théâtre Mariinski : Valery Gergiev varie les plaisirs, dirigeant des programmes différents à Pampelune, Barcelone, Madrid et Bilbao, où il conjugue Liszt à Moussorgski, Mozart à Mahler, etc. Nous nous contenterons d’un soir, entièrement consacré à Giuseppe Verdi, à l’occasion de la représentation d’un des ouvrages lyriques de l’Italien dans la capitale de la Bizkaia.

Après l’immense succès de son Aida, Verdi hésite à prolonger son catalogue d’un nouvel opéra. Ce ne sont pas les sujets qui manquent, mais le wagnérisme grandissant sème le doute sur le maintien d’une tradition italienne au sein de laquelle il a du mal à innover encore. Voilà que Manzoni, le grand poète du peuple, décède. Son ami compositeur décide illico d’écrire une grande messe funèbre à sa mémoire. À Milan le 22 mai 1874, un an jour pour jour après l’inhumation du dédicataire, la Messa da Requiem est créée à la Chiesa San Marco, sous la direction de l’auteur qui la considère, à soixante-et-un ans à peine, comme son œuvre testamentaire. En réalité, le soi-disant retraité Verdi se laissera tenter à deux reprises : La Scala donnerait le jour à son Otello en 1887 et à Falstaff en 1893.

La rencontre entre cette messe qu’on a souvent dite plus opératique que religieuse et le maître russe opère une quasi réhabilitation du prétexte liturgique. Sous la direction de Gergiev, le Requiem est immédiatement habité d’une spiritualité très profonde qui, plutôt que de s’appuyer sur les nombreux effets que l’œuvre autorise à une exécution spectaculaire et superficielle, les intègre dans une concentration rarement rencontrée. L’Introit est sombre, lugubre, presque repoussant, comme la mort, en somme.

À l’orchestre pétersbourgeois s’associent les choristes de l’Orfeón Pamplonés dont il faut admirer la vaillance, mais aussi la délicatesse musicale. Dans le Dies iræ, une terreur monstre monte de la scène et bouleverse toute la salle ! Le jugement dernier n’est plus une vague vue de l’esprit, non :sous l’impulsion de Gergiev, c’est une réalité qu’il convient de craindre. Tout fait sens, dès lors, comme ce Salva me suppliant qui, plutôt que de braver le ciel d’un chant fier, se réfugie dans une humilité inattendue.

La seconde partie arrive en sauveur, du coup. Après la menace de la damnation, après le crépitement de l’enfer, après le miroir acharné de vies pécheresses, voici la pitié, la miséricorde, la manne charitable. L’interprétation ne laisse pas supposer que le Très-Haut fermerait les yeux : il récompense les pénitents, celui des deux larrons de la Croix qui a pris conscience de ses fautes. La Salut est chose grave, Valery Gergiev ne dévie pas d’un cheveu de son austère ligne d’approche.

Remplaçant Youri Vorobiev, Vladimir Feliauer affirme une basse solide et puissante, bien qu’en dehors du propos général. Ses interventions sont irréprochables, mais le chanteur n’aura vraisemblablement pas eu le tempsnécessaire pour s’intégrer à la rigueur de l’ensemble. On ne présente plus le mezzo-soprano Olga Borodina, de longue date complice du maestro. Elle a conquis le monde entier, avec des incarnations mémorables. Elle ne cède pourtant pas à la tentation de l’opéra et honore le Requiem verdien d’une dimension indéniablement sacrée. C’est moins le cas du ténor Otra Jorjikia, connaissant des difficultés à maintenir sa prestation dans la ganse religieuse. Il lui sera beaucoup pardonné, car la voix possède une lumière si inspirée qu’elle pourrait venir d’en haut… Amelia à Vérone (Un ballo in Maschera), Elvira à Rome (Ernani), Aida à Saint-Pétersbourg et à Berlin, Lady Macbeth à Zurich (Macbet), Tatiana Serjan est une verdienne patentée, qui triomphait récemment à Chicago en Abigaille (Nabucco). Voix immense, dotée d’une soufflerie tout terrain, timbre chaud et projection stupéfiante, elle donne le frisson dans un Libera me d’anthologie qu’elle non plus ne tire pas vers l’opéra. Soprano dramatique d’exception, Tatiana Serjan se révèle artiste intelligente comme on les aime.

HK