Chroniques

par françois cavaillès

Gounod gothique
Hervé Niquet dirige le Vlaams Radio Koor

Chapelle Corneille / Opéra de Rouen Normandie
- 14 mars 2018
Hervé Niquet dirige le Vlaams Radio Koor dans un programme Gounod
© dr

Dans l'étincelante Chapelle Corneille en configuration tri-frontale, les oreilles attentives à la musique ancienne floconnent pour un concert qui leur donnera, par son trouble mystique, une jolie chair de poule nourrie d'abord par un grave prélude improvisé par l'organiste François Saint-Yes. Lente ascension vers l'esthétique tridentine puisque le premier chant de cette soirée intitulée Gounod gothique date de 1584 et consiste en l'adaptation par le grand compositeur bicentenaire d'une œuvre de Giovanni Pierluigi da Palestrina (1525-1594) illustrant à merveille l'influence du Concile de Trente (1545-1593) sur le culte catholique. En particulier, par la simplification des mélodies surtout, le nouvel effet recherché semble suivre le décret du 10 septembre 1562 : « Toute musique exécutée dans l'église ne devrait pas être composée pour le vain plaisir de l'ouïe mais de manière que les paroles puissent être perçues de tous, de sorte que les fidèles soient amenés au désir de l'harmonie céleste et de la béatitude des saints ». Cet objectif paraît atteint et, ainsi, le précepte bien imposé. Sans embarras, le Vlaams Radio Koor (Chœur de la Radio flamande) et son chef Hervé Niquet revêtent d'une grande sérénité Paucitas dierum meorum finiture. Alors sonne déjà l'heure du repos solitaire, à la fin des jours, fatigué de toute une vie pourtant si limitée et dont on abhorre de voir l'écrasante fin.

La Messe vocale qui s'en suit fut écrite par Gounod en 1843, à son retour de la Villa Médicis, et dans le style de Palestrina. Selon un programme conçu par le Palazzetto Bru Zane, ici producteur, elle est entrelardée d’improvisations à l'orgue et autres brefs extraits d'adaptations de musique sacrée par Gounod. Ouverte par un premier accord tonitruant, la voici sagement modulée, baignée des grandioses voix flamandes, le c(h)œur battant la chamade menée par Hervé Niquet, jusqu'à la superbe mélodie introduisant véritablement le Kyrie eleison. « En effet, chaque prière (sauf le Sanctus) y est précédée d'une invocation empruntée aux Alleluia des messes et des vêpres dédiées à la Sainte Vierge », précise la brochure de salle. L'écho croissant, les croisements des voix et la simple répétition de l'appel à la pitié donneraient presque à la prière un satané pouvoir addictif... Impression renforcée au Gloria, élancé comme à triple moteur, galvanisé d’un rythme incessant. Le chant irrésistible bien qu'austère comble tout silence. Puis il orne un texte très dense, parole coulant sans aspérité, fort peu consonantique. Mais dans cette superbe et dynamique diversité des voix, avec quelle conviction peuvent s'exprimer l'harmonie fervente et le lyrisme antalgique, comme pour preuve que l'esprit de la musique triomphe de tout. L'énergie positive et l'optimisme débordent dans l'offertoire organistique improvisé et, en balade à travers l'effroi monstrueux du Sanctus et l'apaisement spirituel Benedictus, le cercle des chanteurs, debout comme des stèles, impressionne terriblement.

Calme et lancinante au départ, classique et émue dans sa lente montée en puissance, la parenthèse mozartienne porte la marque exceptionnelle d'Amadeus. Masculin exalté, féminin adouci, l'alliage chorale mixte se fait prière magique : cet Ave verum corpus natum de Maria Virgine (Je te salue, vrai corps né de la Vierge Marie) fut composé en 1791, soit en même temps que Die Zauberflöte et peu avant le trépas du génie. Le fil de la rare messe de Gounod (donnée à Vienne une seule et unique fois) est repris avec le tourmenté mis tant délicat Agnus dei. Au semblant plus compact et obséquieux, il montre peut-être comme peut, dans l'intervalle entre les phénomènes de crucifixion et de résurrection, entre la vie et la mort, sourdre le désintérêt. Puis dans la houle vocale, un Hosannah jaillit en canon, expression parfaite de la joie ! Il s'agit bien, en une spirale ascendante, fascinante et surprenante sur la fin, d'une escapade chez... Bach, bien sûr.

Le concert se termine sur une note des plus funèbres avec Les sept paroles du Christ sur la croix (1855). Livret et musique, écrits par Gounod, produisent d'autant mieux dans la Chapelle Corneille l'effet d'une œuvre d'église, conclue naturellement par un Pater, in manus tuas, commendo spiritum meum (Père, je remets mon esprit entre tes mains). La compilation à sensation artificielle d'évangiles de la Passion du Christ permet surtout d'apprécier la maîtrise d'Hervé Niquet et de la formation flamande, copieusement ovationnés au terme du fort valeureux concert.

FC