Chroniques

par david verdier

Hänsel und Gretel | Hansel et Gretel
d‘Engelbert Humperdinck

Opéra national de Paris / Palais Garnier
- 16 avril 2013
Hänsel und Gretel (Humperdinck) à Garnier, photographié par Monika Ritteshaus
© monika ritteshaus | opéra national de paris

Hänsel und Gretel est une œuvre si mal connue du public français qu'on en oublierait son formidable potentiel onirique – bien au delà de l'opéra de poche qu'on veut bien parfois nous servir. Humperdinck lui-même cédait avec malice aux comparaisons parsifaliennes en parlant de son œuvre comme d'un Kinderstubenweihfestspiel, moins irrévérencieux qu'il n'y paraît quand on mesure avec quel souci d'orfèvre il s'est attelé à sa tâche. Derrière l'humour, il faut bien considérer à quel point Hänsel et Gretel pose plusieurs questions importantes, à commencer par celle qui, pour un wagnérien tel que Humperdinck, consiste à écrire un opéra après Wagner. Le flux – l'afflux – de citations et de leitmotive est très dense, au point que l'affaire tourne au jeu de piste si l'on se borne à pointer les références qui parsèment l'ouvrage.

On peut également s'interroger sur le rapport ambigu entre grande forme et culture populaire. Entre parodie d’Hojotoho, tralala et jodle, l'oreille avisée a des raisons de s'effrayer de ce joyeux bric-à-brac à la rusticité roborative. Il faut accepter qu'un prétendu opéra pour enfants ne soit en définitive qu'une vision de l'enfant par des yeux (et des oreilles) d'adultes. On n'en sera que plus indulgent à l'égard de cet incessant va-et-vient entre les différents champs culturels.

On peut être reconnaissant à Mariame Clément d'avoir su aborder sans afféterie aucune les problématiques que pose l’ouvrage, sans avoir cherché à infantiliser la trame et les situations. L'intellectualité des références séduira plus d'un spectateur, tout heureux de découvrir un univers entre Lewis Carroll et Jacques Demy, tantôt cinématographique (La nuit du chasseur) tantôt musical (L'enfant et les sortilèges), sous les gros sabots du conte pour enfants.

La mise en scène repose en grande partie sur le déplacement du conte vers un imaginaire influencé par l'approche psychanalytique (séparation enfants-parents, mère castratrice et sensuelle, etc.). Par le jeu de la distance entre les divers espaces, le décor unique isole l'action en une suite de « vignettes ». En hauteur sur deux étages, latéralement de part et d'autre du couloir central, on navigue entre monde réel et vision fantastique ou fantasmée. On saisit progressivement le principe d'une simultanéité de jeu entre scènes chantées et scènes « doubles », dans lesquelles des figurants miment les chanteurs. Plusieurs options sont envisageables, c'est d'ailleurs très inattendu et astucieux. Par exemple, soit la scène mimée est une variante narrative de la scène principale (on mime une issue narrative possible à cette scène), soit elle renvoie à une vision imaginaire de cette même scène et l'imagerie mentale projette des personnages devenant des monstres ou la chambre bourgeoise se transformant en jungle effrayante.

Le deuxième élément principal consiste à rapprocher explicitement la figure maternelle de son double sensuel. À la lumière de cette comparaison, on saisit autrement la scène de l'abandon des enfants à leur triste sort. La Sorcière – sublime Anja Silja – prolonge ce rapprochement dans une scène impressionnante qui fait découvrir une robe en lamé rose de meneuse de revue sous les vêtements de la mère. Loin du traditionnel prêchi-prêcha, on goûte la fraîcheur et l'intelligence du propos – en particulier lorsqu’Hänsel est prisonnier d'une cauchemardesque araignée, souvenir visuel explicitement lié à la sculpture Maman de Louise Bourgeois. On ne regrettera que cet inévitable gâteau multicolore, image sirupeuse un brin écœurante du piège tendu aux enfants – au regard de la qualité des propositions précédentes, cet accessoire était dispensable.

Après la scène, l’orchestre, dirigé par Claus Peter Flor, est le grand triomphateur de la soirée. L'engagement et le sérieux des pupitres dépassent la dimension modeste du livret en le parant de couleurs admirables (petite harmonie et cors au sommet).

L'homogénéité des deux voix principales n'est pas évidente, surtout dans le premier acte. Daniela Sindram compose un Hänsel presque adulte et d'un aplomb très sonore en comparaison de la légèreté attendrie d'Anne-Catherine Gillet (Gretel). La subtile Irmgard Vilsmaier (Gertrud) aurait mérité un autre époux que Jochen Schmeckenbecher (Peter) qui exagère une voix mal dégrossie. Les petits rôles ne sont pas en reste, principalement Elodie Hache et Olga Seliverstova, toutes deux membres de l'Atelier lyrique. On gardera une place particulière à Anja Silja, étrennant une insolite voix de mezzo, qui a le mérite d'escamoter comme nulle autre quelques notes trébuchantes en portant haut ses talents d'actrice.

DV