Chroniques

par vincent guillemin

Hector Berlioz | Roméo et Juliette Op.17
Valery Gergiev dirige le London Symphony Orchestra

Salle Pleyel, Paris
- 17 novembre 2013
à la tête du LSO, le chef russe Valery Gergiev joue Berlioz à PLeyel (Paris)
© alexandre chapounov

La complexité du Roméo et Juliette d’Hector Berlioz réside en premier lieu dans le fait que l’ouvrage n’est ni un oratorio, ni une cantate, encore moins un opéra, mais plus précisément une « symphonie dramatique » dont le programme est basé sur la pièce éponyme de Shakespeare. En cela, Berlioz poursuit l’idée d’œuvre à programme qu’avec sa Symphonie fantastique il eut dès 1830 (à vingt-sept ans) puis avec son « mélologue » pour récitant et orchestre Lélio ou Le retour à la vie (1831). Le livret pourra décontenancer en ce qu’il ne reprend que quelques thèmes de la pièce original, occulte les passages les plus importants et en ajoute d’autres.

L’Ouverture aura rarement respecté avec autant de justesse le terme de « fébrilité » qui lui est associée, tant l’urgence et les vibrations s’y ressentent dès la première attaque des cordes. Valery Gergiev – qui dirige son orchestre avec un long cure-dent quand Berlioz faisait scandale avec sabre – donne sur presque tous les plans satisfaction, lors de ce second programme parisien du London Symphony Orchestra dédié au compositeur français. Alors qu’il semble parfois extérieur aux œuvres jouées, il prend celle-ci à bras le corps et lui donne un côté charnel, sans pour autant retrouver l’extase atteinte la veille dans la Fantastique. Le LSO joue la partition avec une aisance qui rappelle que leur ancien directeur musical, Colin Davis, était le chef à diriger le plus au monde cette musique. Peu d’orchestres ont donc à ce point la partition dans la peau, même si Gergiev ne la fait sonner ni française, ni anglaise, ni d’ailleurs très romantique. Cette version rappelle surtout, s’il était besoin, que Berlioz est un compositeur international.

Le Guildhall Singers Junior Choir est particulièrement bien préparé, même si la prononciation du français n’est pas toujours parfaite ni aussi claire que celle du magnifique London Symphony Chorus. Côté solistes, Olga Borodina nous avait déjà convaincu la saison dernière dans La damnation de Faust par Tugan Sokhiev ; elle prouve une nouvelle fois qu’on peut allier lyrisme, puissance et belle élocution dans les parties féminines berlioziennes. Kenneth Tarver a moins de projection tout en restant audible dans toute la salle : il chante avec l’ironie demandée le court mais intéressant rôle de ténor. Evgueni Nikitin (décidément vissé à Paris, en ce début de saison) montre, après un Hollandais malade [lire notre chronique du 18 septembre 2013] et un Orest convenable [lire notre chronique du 31 octobre 2013] que les rôles de basses lui conviennent peut-être mieux que ceux de baryton. Très présent et tenant bien la partie de grave, il montre quelques faiblesses de souffle lorsque plusieurs phrases s’enchaînent plus densément.

La phalange londonienne prouve n’avoir rien perdu du niveau acquis sous son ancien directeur musical ; elle demeure l’une des meilleures au monde pour jouer Berlioz, surtout lorsqu’il est dirigé par un Gergiev aussi inspiré. Signalons à ses afficionados qu’en décembre le chef russe reprendra ici-même le cycle Chostakovitch commencé la saison dernière.

VG