Chroniques

par david verdier

Herbert Blomstedt dirige l’Orchestre de Paris
Anton Bruckner | Symphonie en ut mineur n°8

Salle Pleyel, Paris
- 27 septembre 2012
Herbert Blomstedt dirige l’Orchestre de Paris
© dr

Herbert Blomstedt avait déjà triomphé à la tête de l'Orchestre de Paris dans la Symphonie en si bémol majeur n°5 d'Anton Bruckner, il y a deux ans. Le beau succès de ce concert eut pour effet de créer une attente bien légitime – attente en partie déçue en dehors du fait qu'en matière d'interprétation musicale, comme dans d'autres domaines, il est difficile de réitérer les conditions très subtiles qui font la réussite d'une soirée. Le choix périlleux de la Symphonie en ut mineur n°8 est à la mesure du défi lancé à un orchestre talentueux, sans aucun doute l'un des meilleurs que l'on puisse entendre sous nos latitudes, mais qui doit pour l'occasion investir une énergie et un état d'esprit qu'il n'a pas pour habitude de mobiliser. L'unique concert parisien (dérogeant à la tradition des deux programmes hebdomadaires) était donné deux jours avant le départ de l'orchestre pour la Brucknerfest de Linz, donnant à la soirée des airs involontaires de répétition générale.

La récente actualité discographique en donne un témoignage éloquent, le Bruckner d'Herbert Blomstedt est d'une probité à toute épreuve, travaillant dans la continuité un discours qui jamais ne s'épuise à trop vouloir user de sa propre majesté. Le chef suédois joue en quelque sorte la carte de l'éloquence contre celle de la grandiloquence, optique proportionnée intelligemment aux forces instrumentales en présence. De fait, le génial anachronisme tonal de Bruckner ne déborde jamais d'un cadre expressif dessiné au cordeau par le geste prudent du chef.

Dans l'Allegro moderato initial, les rapports ne sont pas équilibrés d'un pupitre à l'autre. Il y manque la cohésion qui traduirait une ligne mieux dessinée, comme une arche dont on devine le point de chute au moment même où elle s'élève. L'engagement est palpable, la concentration des instrumentistes ne fait pas défaut, mais la tension ne décolle pas d'une lecture à fleur de notes, préférant la lisibilité de la diction aux élans de l'expressivité. La variation des plans sonores fait se succéder des pages de la partition plutôt que de réels paysages de sentiments. On admire l'élégance des interventions solistes mais on peine à leur trouver une fonction signifiante. Les cuivres sont très sollicités – on s'incline devant une technique qui, sans démériter, ne s'épanche pas à l'intérieur d'un discours qui les aurait fusionnés avec les autres pupitres.

Le Scherzo montre l'orchestre plus à son aise et prompt à injecter dans le flux de notes un enthousiasme communicatif. Par contraste, l'Adagio semble long et laborieux, comme dénervé et sans cette lumière qui éclaire de l'intérieur la complexe architecture thématique. Tout fonctionne en dehors de cette empilement de strates graduelles qui font augmenter la tension jusqu'au point critique où le tissu de notes cède sous le poids des cycles de motifs réitérés et libère une coda dont la verticalité même est littéralement insoutenable. Le punctum dynamique, signalé par le grand bruit blanc des cymbales, n'est sous-tendu par aucune nécessité. Même constatation pour la coda du finale, qu'un enchaînement trop précipité gâche en partie et empêche de produire l'effet tant attendu. La cathédrale sonore est là sous nos yeux, mais elle ne se visite pas.

Herbert Blomstedt ose proposer un bis à cette symphonie qui, d'ordinaire, comble l'auditeur et se suffit à elle-même. Il va sans dire que ce Scherzo de la Symphonie en ut mineur n°2 n'apporte rien de décisif à une soirée déjà bien remplie.

DV