Chroniques

par jérémie szpirglas

Hypermusic prologue
opéra d'Hèctor Parra

Agora / Centre Pompidou, Paris
- 15 juin 2009
Hypermusic prologue, opéra d’Hèctor Parra au festival Agora (IRCAM)
© dr

Agora, ce ne sont plus seulement des Chemins qui bifurquent, mais de gigantesques ponts suspendus lancés vers tous les horizons. Après les aventures culinaires de Bruno Mantovani jeudi dernier [lire notre chronique du 11 juin 2009], c'est au tour d'Hèctor Parra de nous emmener faire un petit tour au pays de la physique des particules et de la cosmologie branaire – une théorie unificatrice de toutes les interactions qui régissent l'univers, dérivée de la célèbre théorie des cordes et développée par la physicienne Lisa Randall, qui s'est d'ailleurs jointe au projet en qualité de librettiste. Et pourquoi pas ? Si les vocabulaires gastronomiques et musicaux sont frères, ceux de la physique et de la musique contemporaine sont, quant à eux, presque jumeaux !

Sur le papier, Hypermusic prologue ressemble à cette œuvre élusive qu'Edgard Varèse a recherchée toute sa vie, vers laquelle il s'est avancé pas à pas sans jamais l'atteindre, d'Hyperprism à Déserts en passant par The-One-All-Alone, Astronomer, Espace, Intégrales, et jusqu'à Poème Électronique. Convaincu de l'existence d'une quatrième dimension – concept à la mode à la suite des travaux retentissants d'Einstein, et qui revêtait pour lui, en plus de son intérêt strictement scientifique, une certaine aura mystique –, Varèse entendait sa musique, et ces œuvres-là en particuliers, comme la trace laissée dans notre monde à trois dimensions d'une musique plus vaste, qu'on ne peut appréhender dans son entier – une projection sonore qui n'est pas sans rappeler la projection sur un plan d'un objet en trois dimensions.

Avec Hypermusic prologue, sous-titré A Projective Opera in Seven Planes, Hèctor Parra et Lisa Randall nous font suivre une histoire d'amour à distance d'un nouveau genre. Celle d'une physicienne, embarquée à la découverte de la cinquième dimension, et de son amant, resté coincé dans notre réalité terre-à-terre à quatre dimensions à peine (le temps restant une variable unidirectionnelle et imperturbable). Toute sorte de parasites et de distorsions dus à cette distance inédite – et avec elle, entre autres choses, la courbure de l'espace et les phénomènes d'augmentation exponentielle de masse ou d'énergie auxquels sont soumis leurs corps et leurs voix – affectent leur dialogue amoureux.

Transposant les concepts élémentaires de la physique (temps, distance, masse, énergie, etc.) en concepts élémentaires musicaux (tempo, rythme, densité spectrale, ambitus, etc.), Hèctor Parra traduit (ou tente de traduire) en musique les phénomènes décrits par le livret – qui représentent, en un sens, la dimension dramaturgique de l'œuvre – à grands renforts d'électronique et d'informatique musicale « made in Ircam ».

Le traitement des voix par informatique en temps réel est une des clefs de ce travail, puisque ce sont ces distorsions qui marquent chacune à leur tour une étape du voyage, font donc avancer l'intrigue. D'une clarté presque classique au début, les voix se font peu à peu haletantes et interrompues à mesure qu'on avance dans la découverte de l'hyperespace – jusqu'à ce que finalement, le très beau baryton James Bobby s'affole de ne plus pouvoir entendre sa bien aimée, incarnée par le soprano Charlotte Ellett dont la grande souplesse vocale jure avec son manque d'aisance scénique.

Si le résultat est, musicalement du moins, souvent d'un grand intérêt – et même d'une grande beauté, grâce à l'interprétation précise et pleine d'à-propos des musiciens de l'Ensemble Intercontemporain –, force est d'avouer que l'opéra, dans son entier, manque son but. Le livret, surtout, s'avère peu compréhensible, trop peu d'informations nous étant données. Quelques petits éclaircissements concernant la théorie elle-même et le vocabulaire auquel elle fait appel (ou au moins un minimum de vulgarisation dans le texte) auraient suffi pour le rendre plus limpide. Dans l'état, opaque et jargonnant, nos efforts pour en suivre l'argument sont si peu récompensés qu'on s'en désintéresse vite : il ne fait que détourner l'attention de la dentelle musicale développée par Hèctor Parra avec un talent rare – qui mêle intelligence, sens de la couleur et imagination –, et nous distraire du fort beau travail visuel de Matthew Ritchie – les textures vidéo, en particulier, sont fascinantes, tour à tour granulaires et magmatiques, très poétiques car se refusant toujours à l'illustration textuelle.

JS