Chroniques

par pierre-jean tribot

Idomeneo, re di Creta | Idoménée, roi de Crète
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Salzburger Festspiele / Haus für Mozart
- 22 août 2006
Ramón Vargas dans Idomeneo (Mozart) au Salzburger Festspiele
© bernd uhlig

Dans le cadre du projet Mozart 22, Peter Ruzicka reprend la production d'Idomeneo des époux Karl-Ernst et Ursel Herman, créée au festival de Salzbourg 2000 sous le mandat de Gerard Mortier. On pouvait se demander ce qui poussait l'actuel intendant à reprogrammer cette mise en scène alors que les relations entre les deux hommes ne sont pas des plus chaleureuses. Pourtant, la simple vue de ce spectacle donne la réponse : il apparaît impossible de faire dramatiquement mieux. Parfaite, cette scénographie tient du miracle absolu.

On connaît le goût esthétisant des Hermann, leur vocabulaire si personnel : blancheur des décors, réduction des accessoires au minimum, imposantes robes et manteaux doubles faces, etc. À chaque fois – et encore plus pour ce spectacle – la magie opère. Le tout est d'une finesse, d'une poésie, d'une suggestivité hors normes. Dans un décor immaculé minimaliste, l'orchestre se retrouvant au centre du dispositif scénique, les personnages évoluent autour de la fosse, tandis qu'un panneau mobile ouvre parfois le fond de la scène. L'adéquation entre musique et mise en scène est totale et, à ce titre, certaines scènes sont mémorables (ainsi l'air Idol mio, se ritrodo d'Elettra à l'Acte II dégage-t-il une brûlante sensualité ; on en dit autant de la poursuite finale entre Idamante et Ilia, à la simplicité fascinante). Concepteurs de l'ensemble de leurs spectacles, les Herman arrivent ici sur de vertigineux sommets et montrent – on ne saura jamais assez les en remercier – qu'avec du talent et de l'intelligence, il est possible de marquer son temps dans un opéra de Mozart, sans avoir à le triturer au chalumeau pour « justifier » son actualité.

Le spectateur de cette représentation est comblé par une distribution de même niveau. Très attendue en Idamante, Magdalena Kožená, plutôt rare à la scène, livre une prestation d'anthologie. Le timbre est magnifique et la chanteuse, fortement engagée théâtralement, est un fils d'Idomeneo à l'humanité bouleversante. Pour ses débuts sur les planches salzbourgeoises, le ténor Ramón Vargas ne déçoit pas. Dans l'un des plus beau rôles mozartiens, il offre son timbre irradiant, son charisme scénique et s'inscrit d'emblée comme un Idomeneo absolument majeur. Star montante des maisons d'opéras allemandes, Anja Harteros est renversante : la voix est d'une beauté peu commune, la puissance saisissante et le jeu superlatif. Le charisme de cette chanteuse colle proprement l’auditeur à son fauteuil, autant dans les deux arie colériques des Actes I et III que dans celle, ensorcelante, du II. Au fil de ses apparitions, la délicieuse Ekaterina Siurina ne cesse d’étonner par une technique parfaite et un timbre limpide, cristallin même, des plus séduisants. Jeffrey Francis est un Arbace de luxe, tout comme Robin Leggate (Gran Sacerdoce) et Günther Groissböck (Voce). Préparé par Alois Glassner, le Salzburger BachChor, est lui aussi parfait.

En fosse, remplaçant Michael Gielen initialement prévu, le britannique Roger Norrington fait des étincelles. À la tête d'une Camerata Salzburg affûtée et tranchante, il fait surgir les multiples détails de l'orchestration. Cette lecture analytique ne tombe pas dans la froideur, car le musicien sait garder l'attention sur le déroulement narratif de l'œuvre.

Ce spectacle était programmé dans la nouvelle Haus für Mozart qui remplace, en plus grand, l'ancienne Kleines Festspielhaus dont la laideur était assez repoussante. Si l'acoustique est généreuse, on sera bien plus réservé sur une esthétique chaleureuse mais clinquante. En conclusion, ce spectacle miraculeux, accueilli par une rare standing ovation, est un moment unique et certainement l'une des rares productions du projet Mozart 22 que l'on soit impatient de retrouver en DVD.

L'année prochaine, la direction du festival sera assurée par le nouvel intendant, le metteur en scène Jürgen Flimm. Beaucoup de questions se posent sur l'avenir de la manifestation la plus luxueuse du monde de la musique classique. Si Flimm semble conscient de l'urgence de renouer avec le prestige passé du festival, il devra s’arranger d’une enveloppe budgétaire identique, les tutelles ayant fait savoir qu'il n'était pas question d'augmenter les subventions comme il le demandait. Dans un entretien accordé à la radio autrichienne, il évoquait la piste d'une réduction de la durée du festival pour en hausser la qualité moyenne, en ayant conscience des conséquences d'une telle décision pour la ville et son économie qui tire de substantiels revenus de la longue durée de la manifestation (un mois et une semaine).

PJT