Chroniques

par gilles charlassier

Il barbiere di Siviglia | Le barbier de Séville
opéra de Gioachino Rossini

Opéra national du Capitole, Toulouse
- 24 mai 2022
À Toulouse, Josef Ernst Köpplinger met en scène "Il barbiere di Siviglia"
© mirco magliocca

Le Théâtre du Capitole referme sa saison par une nouvelle coproduction, réalisée en collaboration avec le Theater am Gärtnerplatz (Munich) et le Gran Teatre del Liceu (Barcelone) d’un grand classique du répertoire, Il barbiere di Siviglia de Rossini. Dans les décors mobiles et colorés de Johannes Leiacker [lire nos chroniques de La Calisto, Rigoletto, Les vêpres siciliennes, Cavalleria rusticana, Hamlet, La Juive, Ariodante, Capriccio, I puritani et Tristan und Isolde], la mise en scène de Josef Ernst Köpplinger affirme une vitalité rafraîchissante [lire notre chronique de Dantons Tod]. Si la rotation d’un dispositif unique ne se distingue pas par son originalité, la réversibilité de la façade et de l’intérieur est calibrée avec une saveur irrésistible : côté rue, un balcon agrémenté d’une enseigne lumineuse Prostibulo, désignant la demeure de Bartolo comme maison close pourvue de colonnes d’épines peu accueillantes ; côté domestique, une demeure tapissée de roses, emblème floral et dérivé onomastique de la femme-objet Rosina, dont l’émancipation éclora en même temps que l’amour d’Almaviva. Sous les lumières habilement modulées par Michael Heidinger, les rebondissements de l’intrigue inspirée de Beaumarchais s’enchaînent avec une réjouissante vitalité que relaie la fantaisie des costumes d’Alfred Mayerhofer, résumant tout une chamarre sociologique hispanique ou, du moins, latine – de la soutane aux talons aiguilles en passant par des marins et soldatesques parfois à penderie ouverte.

La direction souple et vitaminée d’Attilio Cremonesi participe de la dynamique émulsionnée du spectacle. À la tête d’un Orchestre national du Capitole réactif, le chef italien [lire nos chroniques de Dardanus, Dido and Æneas, Jephta, Ezio et Le nozze di Figaro] s’attache à la souplesse des attaques et de la ligne, donnant à l’ensemble une fluidité aussi étourdissante que la dramaturgie – en particulier au second acte dont la scène finale fait l’économie opportune de l’air de bravoure du Comte et l’ellipse, un peu moins heureuse peut-être, des tractations de Rosina avec son tuteur lorsqu’elle découvre le folio supposément traître.

Dans cette lecture sans temps mort, Florian Sempey, indéniable tête d’affiche de la première distribution en Figaro, fait valoir ses évidentes affinités avec ce que d’aucuns communiqués qualifient de rôle signature [lire nos chroniques du Mage, de Madame Sans-Gêne, Il barbiere di Siviglia et Les Indes galantes]. L’assurance et la générosité du chant imposent un barbier vivant et volubile, mais jamais bavard, dans une osmose avec l’écriture rossinienne dont témoigne son récent enregistrement avec Minkowski. L’autre grande figure de la soirée est le Bartolo de Paolo Bordogna, d’une santé qui contraste avec les éméritats parfois dévolus au personnage. La précision de l’émission garantit les ressorts théâtraux de l’incarnation, sans avoir besoin d’appuyer le trait [lire nos chroniques de Don Gregorio, La pietra del paragone et L’equivoco stravagante].

Eva Zaïcik campe une Rosina mutine, au timbre charnu et au medium focalisé [lire nos chroniques d’Iliade l’amour, Il terremoto, Die Zauberflöte, Ariane et Barbe-Bleue et La dame de pique]. En Almaviva, Kévin Amiel s’avère sans doute proche de ses limites, mais compense par une composition attachante en amoureux hâbleur et vraisemblablement méridional [lire notre chronique de Thaïs]. Roberto Scandiuzzi ne manque pas de carrure en Basilio, sans faire trop sentir les années. Edwin Fardini assume un Fiorelli fort robuste, au poids vocal plus significatif que de coutume [lire notre chronique d’Il mondo della luna], tandis qu’Andreea Soare se glisse avec délices dans les commentaires de Berta, jusqu’à un air interprété avec l’enthousiasme narquois qu’il convient. Les répliques de l’Officier reviennent à un Bruno Vincent sans faiblesse quand Frank Berg s’acquitte de celles d’Ambrogio. Préparé par Gabriel Bourgoin, le Chœur du Capitole apporte l’ultime touche à un Barbier qui ne boude pas son plaisir.

GC