Chroniques

par françois cavaillès

Il barbiere di Siviglia | Le barbier de Séville
opéra de Gioachino Rossini

Opéra des Nations / Grand Théâtre (saison hors les murs), Genève
- 12 septembre 2017
superbe Bogdan Mihai en Almaviva de Genève (Rossini) !
© gtg | magali dougados

L'été finissant, l'opéra reprend ses droits à Genève. Toute une saison lyrique – la dernière hors les murs en l'Opéra des Nations, à l'excellente acoustique – recommence par une étrange danse, mini-revue d'hommes-ciseaux, dont le brouillard et la chorégraphie, évoquant la parade des marteaux du film Pink Floyd The Wall (Alan Parker, 1982), sécrètent un parfum anglais. De même l'hommage au fameux barbier héros, étant bien entendu que, brandi à bouts de bras, le vieil outil coupe-tifs prend généralement dans le milieu de l'opéra valeur symbolique aussi universelle que la célèbre ouverture l'accompagnant ce soir – belle conduite classique de l'Orchestre de la Suisse Romande sous la battue de son directeur musical et artistique (anglais !), Jonathan Nott.

Fêtée en grande pompe par le Welsh National Opera l'an dernier (bicentenaire oblige) avec la création d'une trilogie de Figaro, revoici donc la merveille de Rossini à Genève, début d'une sorte de festival Beaumarchais de trois jours (qui sera offert à quatre reprises, puis diffusé sur Internet). Sitôt refermé ce clin d’œil pressé à la comédie musicale, à la vue du très curieux goût vestimentaire des hommes attroupés, porteurs de chapeaux canotiers et de grands blazers aux couleurs criardes, fort mal assorties, aucun doute ne subsiste sur l'origine britannique du spectacle. En scène, les bizarreries se multiplient – par exemple, l'entrée d'un guitariste bravement déjanté, louche comme la bande fluo de son bas de survêtement, lors de la première aubade du Comte.

Jouant des rayures sur toute la gamme, les costumes de Sue Blane évoluent du populaire plutôt grossier à la fantaisie bien composée – Almaviva jouant le soldat ivre en Garde suisse (singulier Arlequin) ou Basilio aveugle à la tenue bigarrée, qui tient en permanence un faux chien en laisse –, si bien que les travestissements deviennent même le principal pilier visuel de la farce. Dans un décor sec, tout en façade sobre de Ralph Koltaï (point commun pratique aux trois soirées lyriques consécutives), la théâtralité est soulignée à l'avant-scène, sans parvenir à canaliser le délire rossinien qui transporte les fins des premier et deuxième actes. Le comique d'accessoires vient apporter la vie et la crédibilité au jeu parfois mal dégrossi des chanteurs.

Meilleur comédien ce soir, gardant bon sens et aplomb tout en excellant dans le burlesque le plus savoureux, le baryton-basse Bruno de Simone frise la perfection en Bartolo, d'une voix particulièrement agile dans l'air A un dottor’ della mia sorte. Mais de plus jeunes spécialistes du répertoire s'affirment également, avec une énergie et un plaisir du chant contagieux, pour former une distribution très applaudie.

Ainsi, avec coffre, banane, récitatif soigné et rouflaquettes, le Figaro de Bruno Taddia est-il le maître de cérémonie sportif, le détonateur aux jambes d'un rouge flambant, puissant comme une fusée, vaillant comme un coq [lire notre chronique du 1er avril 2011]. Son complice est d'abord le Chœur du Grand Théâtre de Genève, dirigé par Alan Woodbridge et auteur de quelques belles adjonctions originales, puis son compère Comte, bellâtre devenu lyrique et batailleur de par la prestance vocale et l'audace du ténor Bogdan Mihai [lire notre chronique du 5 novembre 2013]. Mais, Figaro placé au centre, c'est avec Rosina qu'apparaît un autre grand personnage, interprété avec force talent, à la fois comique et lyrique, par le mezzo-soprano ukainien Lena Belkina, telle une étoile filante [lire notre chronique du 16 janvier 2016].

En fin de compte, grâce à l'excellent plateau vocal, la comédie trouve son rythme et son élan dans l'efficace mise en scène de Sam Brown, sur le fil vaudevillesque des meilleures opérettes de Gilbert and Sullivan, comme à la barbe de l'amateur raffiné de Beaumarchais.

FC