Chroniques

par laurent bergnach

Il palazzo incantato | Le palais enchanté
opéra de Luigi Rossi

operavision.eu / Opéra de Dijon
- 16 février 2021
Il palazzo incantato, opéra de Luigi Rossi donné à Dijon en décembre 2020
© gilles abegg

Bien connu comme auteur d’un Orfeo (1647) [lire notre chronique du 4 février 2016], Luigi Rossi (c.1597-1653) l’est beaucoup moins pour son tout premier opéra, Il palazzo incantato, uneazione in musica commandée par le cardinal Antonio Barbieri, créée le 22 février 1642 au Teatro delle Quattro Fontane (Palazzo Barbieri, Rome). Son livret, d’après un épisode d’Orlando furioso (1532) de Ludovico Ariosto, dit L’Arioste, est signé Giulio Rospigliosi (1600-1669), futur pape Clément IX (1667-1669).

Dans un Prologue où Peinture, Poésie et Musique disputent leurs méritent, voici que survient Magie qui choisit le sujet du présent opéra pour illustrer le thème de la valeur et de la loyauté. Il s’agit de la libération, par l’amante guerrière Bradamante, du chevalier Ruggiero retenu dans un lieu labyrinthique par le magicien Atlante, avec tous ceux qui passeront à sa portée. Outre Bradamante et sa fidèle Marfisa l’on y croise donc Orlando, Ferraù et Sacripante, à la poursuite de la belle Angelica, Gradasso et Mandricardo à la recherche de Doralice, ainsi que la jeune Olympia, Prasildo, Alceste et Alstolfo. Du côté des prisonniers au désespoir de trouver l’amour ou plus simplement la sortie, un anneau et un cor magiques conduiront à un dénouement d’autant plus heureux que ce n’est pas la cruauté qui motive Atlante mais le désir maladroit de protéger Ruggiero d’une union avec sa promise.

Sans la crise politique actuelle, le public aurait assisté, entre les 11 et 17 décembre 2020 à l’opéra de Dijon, à la redécouverte d’un ouvrage qui ne fut plus donné depuis sa création. Heureusement, il existe un film de cette production confiée à Fabrice Murgia, metteur en scène pour qui l’aspect visuel fait la différence. « Je suis très intéressé par l’image, en tout cas le texte n’est pas le premier élément de mon langage au théâtre » (brochure de salle), reconnaît l’ancien élève du Conservatoire de Liège, formé à Brecht et diverti par Spielberg. Réalisés par Vincent Lemaire [lire nos chroniques de Le nozze di Figaro, La bohème, Les pêcheurs de perles, I Capuleti e i Montecchi, Otello et Hamlet], deux espaces scéniques matérialisent le labyrinthe. La partie inférieure présente trois tournettes et quelques portes menant à des espaces contemporains associés à la perte de repères (aéroport, hôtel, etc.). La partie supérieure, belvédère du mage également pourvu de portes, sert aussi de lieu de projections géantes (visages, etc.). Bienvenu pour égarer « des personnages qui font des cross over comme dans les séries télé d’aujourd’hui », ce trop-plein déstabilise le spectateur, voire l’ennuie, quand le stéréotype ou la vulgarité dominent. La fin de l’Acte II, sur un plateau plus dépouillé en clair-obscur, et avec un poil d’humour, intéresse davantage. Nu au III, l’espace scénique fait la part belle aux danseurs Joy Alpuerto Ritter et Zora Snake, dans l’agonie de l’enchantement.

Si un homme est heureux de cette renaissance, c’est assurément Leonardo García Alarcón [lire nos chroniques du 10 octobre 2008, du 27 avril 2011, des 25 janvier et 15 décembre 2015, des 30 juin et 16 septembre 2016, des 25 janvier et 9 juillet 2017, du 25 septembre 2020], lequel découvrit la partition de Rossi au Vatican, il y a deux décennies. « Du point de vue des effectifs, explique le directeur musical de la Cappella Mediterranea, c’est sans doute la pièce la plus riche de tout le XVIIe siècle, ne serait-ce que par le nombre de solistes, par la présence de chœur double, par la richesse de l’instrumentation à l’orchestre… Il n’y a aucun opéra comparable dans cette période » (ibid.).

Parmi les solistes entourés de choristes (Opéra de Dijon, Chœur de chambre de Namur), on aime particulièrement Arianna Vendittelli (Angelica) pour l’agilité et le legato [lire nos chroniques de Le nozze in sogno, San Giovanni Battista, Merope et Ermione], Deanna Breiwick (Bradamante, etc.) au chant facile et clair, ainsi que l’expressive Mariana Flores (Marfisa, Doralice, etc.) et Gwendoline Blondeel (Fiordiligi, etc.). Chez les hommes, on apprécie Fabio Trümpy (Ruggiero) à la douce fermeté [lire notre chronique de Reigen], le brillant Valerio Contaldo (Ferraù, Astolfo) [lire notre chronique du 20 juin 2017], la souplesse de Kacper Szelążek (Prasildo, etc.) et l’efficacité de Mark Milhofer (Atlante) [lire nos chroniques de La Cenerentola, Tito Manlio, Neues vom Tage, La Calisto, Punch and Judy, Schneewittchen et Der Besuch der alten Dame].

Lucía Martín-Cartón (Olympia, etc.), Victor Sicard (Orlando), Grygory Soloviov (Sacripante, Gradasso, etc.), André Lacerda (Alceste) et Alexander Miminoshvili (Mandricardo) complètent la distribution, décevant par leur manque de justesse ou de nuance.

LB