Chroniques

par katy oberlé

Il trovatore | Le trouvère
opéra de Giuseppe Verdi

Festival dell’Arena di Verona / Théâtre antique, Vérone
- 7 juillet 2019
Anna Netrebko dans "Il trovatore" de Verdi aux Arènes de Vérone : superbe !
© ennevi | arena di verona

Ouf, l’été est là, et bien là ! Il est temps de retrouver l’Italie, pour quelques soirées d’opéra. Le prestigieux Festival dell’Arena di Verona doit au grand Franco Zeffirelli de nombreuses productions qui contribuèrent à sa gloire. Aussi peut-on vivre l’édition 2019 comme un vibrant hommage au réalisateur, disparu le mois dernier, à l’âge de quatre-vingt-seize ans. Rejouer son Trovatore conçu en 2001 apparaît désormais procéder d’une démarche historique de grande envergure. Comme d’habitude, Zeffirelli peint le plateau aux couleurs du drame, ici l’Espagne médiévale dont il a fantasmé les ors gothiques, flamboyant sous la lumière. Les costumes originaux de Raimonda Gaetani participent pleinement du triomphe du spectacle. La narration s’agrémente d’un puissant climat de mystère, entre campement tsigane, énorme tour fortifiée, échos de bataille et nombre de gens armés – combats réglés par Renzo Musumeci Greco. Le plateau accueille de grandes foules qui nous font saluer le génie absolu dans la gestion des masses qui caractérisa l’art de Zeffirelli. Une armada de chevaux s’impose également dans cette fresque grandiose.

L’autre intérêt de cette soirée est de présenter l’œuvre dans sa version romaine de 1853 mais avec les ballets de celle que Verdi révisa en 1857 pour Paris [lire notre chronique du 12 octobre 2018]. Pier Giorgio Morandi, qui dirige l’Orchestra dell’Arena di Verona, nous fait profiter de ces pages rares, tout en servant adroitement toute la partition à laquelle il insuffle un ton épique passionnant. Soigneux des couleurs, son interprétation se révèle inspirée et porte les voix dans son élan extraordinaire. Vito Lombardi est un complice précieux, à la tête du Chœur véronais, absolument parfait.

Ce vendredi, le théâtre antique est plein comme un œuf ! Il faut dire que l’affiche attire les mélomanes avertis comme les touristes curieux, en brandissant le nom d’une star. La prodigieuse technique d’Anna Netrebko se met une nouvelle fois au service d’une incarnation formidable. Le soprano dramatique russe avait déjà triomphé au Salzburger Festspiele dans la rôle de Leonora, il y a cinq ans. Avec des moyens vocaux qui ont mûri depuis, elle se montre meilleure encore, surpassant largement son approche ancienne. La voix a encore gagné en onctuosité, avec un grave solide. La respiration amène un aigu toujours aussi facile. On reste ébahi par le raffinement de la nuance et par la présence scénique. L’air D'amor sull'ali rosee provoque un enthousiasme éberluant dans les gradins !

Le Manrico d’Yusif Eyvazov convainc beaucoup moins, quant à lui. L’aigu est plutôt ingrat, il faut le reconnaître, et même parfois assez grinçant, et la conduite du chant pose de nombreuses questions. Pourquoi l’impact du ténor est-il si étroitement directionnel ? La voix fonctionne mal dans ce lieu, surtout aux côtés d’Anna Netrebko qui dispose d’un format autrement généreux. On lui préfère Dolora Zajick, Azucena très sonore et véritable bête de scène. À soixante-sept ans, la cantatrice affirme encore sa maîtrise étonnante du rôle.

Enfin, quelle joie de retrouver l’excellentissime Luca Salsi [lire nos chroniques de Luisa Miller, Andrea Chénier et Macbet] ! Se confirmant encore et toujours immense verdien, le baryton déploie avec évidence un organe charismatique en comte de Luna. Si le chant est fascinant, saluons dans le même temps l’intelligence du texte et la construction ingénieuse de ce personnage complexe.

Ah, si toutes les soirées d’opéra pouvaient atteindre le niveau de celle-ci !

KO