Chroniques

par isabelle stibbe

Il viaggio a Reims | Le voyage à Reims
opéra de Gioacchino Rossini

Centre Français de Promotion Lyrique / Grand Théâtre, Reims
- 3 octobre 2008
à Reims, Le voyage à... Reims (!) de Gioacchino Rossini
© jean-antoine raveyre

À Ferney où il recevait la fine fleur des nations, Voltaire se proclamait volontiers « l'aubergiste de l'Europe ». À Reims où l'on donne pour la première fois Le voyage à Reims, c'est le Grand Théâtre qui joue ce rôle en accueillant, dans le cadre de la saison culturelle européenne, cette coproduction marquée par une distribution internationale sur un sujet qui ne l'est pas moins. Créé à Paris en 1825 pour les fêtes du couronnement de Charles X, cet opéra permit à Rossini de brosser un portrait savoureux (et non dénué de clichés) des diverses nationalités.

Dans un établissement thermal de Plombières, Le Lys d'or, dirigé par Mme Cortese, une quinzaine de voyageurs venus des quatre coins du Vieux Monde s'apprête à partir pour Reims afin d'assister au Sacre de Charles X. On compte là une élégante comtesse parisienne qui se damnerait pour un bibi, son amant français, parfait bellâtre qui courtise toutes les femmes dont Corinne, poétesse italienne sortie tout droit du roman de Madame de Staël, mais encore une Polonaise, un général russe, un colonel anglais, etc. Tout ce beau monde attend que s’achèvent les préparatifs du départ mais, faute de trouver des chevaux pour les voitures de louage, le voyage ne peut finalement se faire. Qu'à cela ne tienne : nos voyageurs iront à Paris, invités par la comtesse Folleville, pour les fêtes du roi à son retour de Reims. Ainsi l'opéra se termine-t-il dans la liesse par un banquet et un hymne à la France – « Quel flagorneur ce Rossini ! », lâche ironiquement une spectatrice.

Pièce de circonstance, Le voyage à Reims fut retiré de l'affiche après quatre représentations, par Rossini lui-même afin d'en transférer une grande partie dans Le Comte Ory. Ainsi l'œuvre tomba-t-elle dans l'oubli jusqu'en 1984, date de sa renaissance au disque sous la baguette de Claudio Abbado, après une série de représentations triomphales au Festival de Pesaro. Ce succès s'expliquait sans doute par une formidable distribution qui réunissait les plus grands, de Caballe à Raimondi en passant par Gasdia ou Ricciarelli.

Tout autre est l'objectif à Reims : l'initiative de ce projet associant seize maisons d'opéra étant due au Centre Français de Promotion Lyrique, il s'agit davantage de faire découvrir des voix nouvelles. Pas de têtes d'affiches, donc, mais de jeunes chanteurs sélectionnés parmi plus de quatre cents candidats, ce qui permet de faire un point, certes partiel, sur l'état du chant à l’échelle internationale. S'il est globalement bon, l'énergie de la jeunesse aidant, on ne note aucune voix vraiment renversante.

Une mention spéciale à la russe Elena Gorshunova (Folleville) qui fait montre d'une technique solide et d'aigus éclatants, tout en apportant une belle présence scénique à l'extravagante. Le timbre du soprano Gabrielle Philiponet (Corinna) est peut-être le plus intéressant de tous, mais des problèmes d'intonation gâchent un peu le plaisir. La coréenne Yung Jung Choi (Cortese), déjà remarquée dans des productions de l'Atelier lyrique de l'Opéra national de Paris, dispose d'une jolie voix, même si le soprano semble avoir pris ce défaut de l'école française consistant à « chanter petit ».

Chez les hommes, Dominique Moralez (Belfiore) et Shadi Torbey (Sidney) offrent de belles prestations, contrairement au ténor Jud Perry (Libenskof) qui, peut-être à cause du trac de la première, manque ses suraigus.

Dirigé par Luciano Acocella, l'Orchestre du Grand Théâtre de Reims gagnerait à jouer plus brillant. Dépourvue des couleurs éclatantes qui conviennent au feu d'artifice rossinien, la fosse ne réussit pas à faire oublier la longueur de l'œuvre, prise en défaut par un livret manquant cruellement d'intérêt dramaturgique. D’autant que la mise en scène de Nicola Berloffa pêche, elle aussi, par son manque de folie. Le brio rossinien n'est pas loin d'être entravé par des décors à la blancheur clinique, là où l’on attendrait un déferlement baroque. Les chanteurs, chœur compris, sont cependant bien dirigés et certaines scènes, comme celle du massage entre Belfiore et Corinna, sont si réussies que le livret semble avoir été conçu avec ces intentions-là. Ne boudons pas notre plaisir : l'ensemble est bien réglé, malgré des difficultés comme le redoutable Gran pezzo concertato a 14 voci, et c'est déjà beaucoup pour cette cantate scénique qui met en œuvre pas moins de dix-huit chanteurs solistes. En somme, le voyage vaut le détour, même s'il est parfois un peu long.

IS