Chroniques

par laurent bergnach

Iphigénie en Tauride
opéra de Christoph Willibald Gluck

Opéra national de Lorraine, Nancy
- 6 décembre 2005
Iphigénie en Tauride de Gluck à l'Opéra national de Lorraine (Nancy))
© ville de nancy

Rien qu'en France, où fut créé Iphigénie en Tauride le 18 mai 1779, certains confrères ne cachèrent pas leur admiration pour Christoph Willibald Gluck : Paul Dukas reconnut en lui « le premier qui vit le drame comme un tout organique dont les parties se subordonnent à une pensée générale », Camille Saint-Saëns apprécia son absence de pompeux et de solennel, Hector Berlioz, enfin, fut bouleversé jusqu'aux larmes et longtemps hanté par les « sombres mélodies » dont regorge cette tragédie lyrique. De l'aveu même du musicien (dans la préface d'Alceste, écrit dix ans plus tôt), son travail vise désormais à « abolir tous les excès », les abus liés à la vanité des chanteurs, à la complaisance des compositeurs.

La mise en scène de Yannis Kokkos répond au mieux à cette demande d'épure musicale, destinée à servir le personnage psychologique. Des panneaux, qui coulissent régulièrement, partagent le plateau en deux espaces plutôt ténébreux. Le premier, assez restreint à l'avant-scène, est le lieu des tourments intérieurs (cauchemar de l'héroïne) et des aveux intimes. On y trouve une stèle à multiples usages (tombe d'Agamemnon ou point d'attache pour les amis prisonniers). Le second, à perte de vue, ramène à la réalité extérieure et sociale, laissant pénétrer le chœur des femmes, les guerriers scythes puis grecs. La déambulation entre les plateaux – comme souvent chez Kokkos, les marches d'escaliers créent un relief dynamique – s'effectue en priorité lors de moments-clés : l'apparition du spectre de Clytemnestre, la querelle des naufragés pour sauver la vie de l'autre, etc. À quelques exceptions près, les costumes noirs dominent.

Avec de nombreuses qualités, Alketa Cela s'impose en Iphigénie : timbre doux bien qu'également corsé, chant sonore et bien mené, égalité sur toute la tessiture. Le baryton Kevin Greenlaw (Oreste) séduit moins : la voix est puissante, mais l'émission s’accomplit en force, en décalage avec le style délicat des autres chanteurs. Malgré plusieurs dérapages sur l'air Unis dès la plus tendre enfance, notre préférence va vers Xavier Mas, ténor au chant clair, souple et nuancé ; de plus, son Pylade jouit d'une diction sans reproche. Franck Ferrari est un Thoas expressif et vaillant, Christophe Gay un Scythe très clair et Hiromi Omura une Diane d'une belle égalité.

Avec une élégance parfois un peu sèche, une vivacité qui ne manque pas de nuances, Jane Glover conduit efficacement l'Orchestre symphonique et lyrique de Nancy dont on retient particulièrement le travail des cordes.

LB