Chroniques

par irma foletti

Jules Massenet | Manon (opéra en version de concert)
Jean-Sébastien Bou, Éric Huchet, Saimir Pirgu, Vannina Santoni, Nicolas Testé, etc.

Daniele Rustioni dirige les Chœur et Orchestre de l’Opéra national de Lyon
Opéra national de Lyon / Auditorium Maurice Ravel, Lyon
- 12 septembre 2021
Daniele Rustioni joue MANON de Massenet en version de concert
© dr | massenet par clément chaplain – 1864

C’est à l’Auditorium Maurice Ravel, dans le quartier de la Part-Dieu, que l’Opéra national de Lyon inaugure sa saison lyrique, avec une version de concert de Manon de Massenet, proposée quelques jours plus tard aux Parisiens lors d’une seconde séance, au Théâtre des Champs-Élysées. Depuis l’affiche envisagée initialement, la distribution vocale a connu plusieurs modifications, avec le changement de deux noms parmi les trois rôles principaux : Vannina Santoni à la place de Patricia Petibon pour le rôle-titre et Jean-Sébastien Bou qui se substitue à Artur Ruciński pour interpréter Lescaut. On ne peut pas dire que l’œuvre attire les foules dans la vaste salle, mais les artistes donnent véritablement le meilleur d’eux-mêmes. Il faut tout de même un petit temps à l’oreille pour s’acclimater à l’acoustique du lieu, nettement défavorable au Chœur de l’Opéra national de Lyon placé en fond de plateau et dont les membres restent masqués, sauf lors des courtes interventions solistes de certains.

Dès les premières mesures, on apprécie la qualité irréprochable de l’orchestre maison, ainsi que l’énergie et la variété des nuances dessinées par Daniele Rustioni. Tout au long de l’exécution, le chef italien suggère ainsi le jeu, le mouvement, par essence difficiles à proposer dans cette configuration. Les cordes sonnent avec beauté, ensemble ou bien par chefs de pupitres (comme le violon solo, le violoncelle solo). On apprécie aussi, pendant le tableau de Saint-Sulpice, le grand orgue habituellement caché au public derrière les panneaux coulissants en fond de scène, un instrument très impressionnant, sur toute la largeur en pleine hauteur. Le son est aussi en rapport à sa taille, un peu démesuré par rapport à l’orchestre, mais l’intervention de l’orgue est brève dans l’œuvre [lire notre dossier sur la restauration de ce grand Cavaillé-Coll].

Attendant un heureux évènement visiblement très proche, le soprano Vannina Santoni domine la distribution par ses qualités vocales, l’excellence de la diction et une interprétation parfaitement crédible qui génère régulièrement l’émotion [lire nos chroniques de Les pigeons d’argile, Les pêcheurs de perles, Messa da requiem, Carmen, Roméo et Juliette, La traviata, La nonne sanglante et Le soulier de satin]. Dès son air d’entrée – « je suis encore tout étourdie… » –, le texte est articulé avec soin, le vibrato reste sous contrôle et l’aigu semble facile, ajoutant dans ce passage des éclats de rire d’un naturel confondant. Adieu, notre petite table dégage davantage d’émotion, tout comme la conclusion de l’Acte V, après un brillant Profitons bien de la jeunesse dans le tableau du Cours-la-Reine (III).

Seul non francophone de l’équipe, Saimir Pirgu fait entendre en Chevalier des Grieux une diction globalement correcte, quelques syllabes sonnant parfois de manière moins idiomatique. La tendance naturelle du ténor est de chanter fort, d’une voix qui porte et correspond bien au grand duo à Saint-Sulpice. Hors de cette nuance forte, l’instrument perd en stabilité et semble régulièrement à la merci d’un incident. Pour éviter cela, et peut-être sur les conseils du chef d’orchestre, il chante l’intégralité d’En fermant les yeux (II) en voix de tête, tandis que les cordes émettent un petit filet de musique. Entre ce falsetto et un lyrisme plus vaillant, on sent tout de même l’interprète plusieurs fois en inconfort [lire nos chroniques d’Il burbero di buon cuore, Gianni Schicchi à Paris puis à Lyon, Die Zauberflöte et Król Roger].

Rien de tel pour les autres artistes de la distribution, dont arrive en tête le baryton Jean-Sébastien Bou en Lescaut, qui projette puissamment, en particulier son registre haut. Le ténor Éric Huchet se situe bien dans la lignée d’un Michel Sénéchal pour interpréter Guillot de Morfontaine, drôle aussi bien dans les dialogues que les parties chantées. En Comte des Grieux, Nicolas Testé en impose par sa basse autoritaire. L’autre baryton, Philippe Estèphe, fait entendre également un timbre de belle qualité en Brétigny. Quant à Poussette, Javotte et Rosette, elles forment un trio charmant par l’alliage des voix fruitées de Margot Genet, Amandine Ammirati et Clémence Poussin.

IF