Chroniques

par irma foletti

Karine Deshayes et Delphine Haidan – deux sœurs
Debora Waldman dirige l’Orchestre national Avignon-Provence

Louise Bertin, Clémence de Grandval, Charlotte Sohy et Pauline Viardot
Opéra Grand Avignon
- 12 octobre 2022
Les mezzos Karine Deshayes et Delphine Haidan en récital à Avignon...
© dr

Déjà en tournée ces dernières années avec le récital Deux mezzos sinon rien, Karine Deshayes et Delphine Haidan se retrouvent à Avignon pour un concert intitulé Deux sœurs. Bien que le programme de salle ne le mentionne pas directement, un rapide coup d’œil évoque les deux filles du célèbre ténor Manuel García (l’un des créateurs du Barbiere di Siviglia), Maria Malibran et Pauline Viardot, certains airs interprétés par la première, et surtout d’autres, ainsi que des compositions de la main de la seconde, étant au menu.

Directrice musicale de l’Orchestre national Avignon-Provence depuis deux ans, Debora Waldman insuffle énergie et précision à ses musiciens, dans une Ouverture d’Otello de Rossini où les difficiles soli des hautbois, flûte et clarinette sont développés avec virtuosité. Le duo Vivere io non potrò, extrait de La donna del lago (du même compositeur), constitue un doux moment entre amoureux, bien équilibré entre la voix sombre de Delphine Haidan interprétant Malcolm et celle, plus aigüe et puissante, de l’Elena de Karine Deshayes. Rossini revient après l’entracte, avec Non bastan quelle lagrime tiré d’Elisabetta, regina d’Inghilterra, séquence sereine et agréablement musicale, même si le sujet est plus conflictuel.

Avant cela, deux compositions de Pauline Viardot [lire notre chronique des lettres que Charles Gounod lui écrivit] sont chantées par Haidan, d’abord l’air Pourrais-je jamais aimer une autre femme ? de l’opéra Le dernier sorcier, d’une orchestration fine, où la voix s’épanouit davantage dans son registre supérieur. Vient ensuite la mélodie, en russe, Les monts de Géorgie, écrite sur un poème de Pouchkine, partition au souffle dramatique palpable qui correspond plus à la tessiture naturelle de l’artiste, d’un volume plus homogène au cours de la pièce. Quant à elle, Deshayes se confronte avec panache à l’air brillant Amour, viens rendre à mon âme qui conclut le premier acte d’Orphée et Eurydice de Gluck, dans la version arrangée par Berlioz pour Viardot. Le mezzo met en œuvre toute son agilité pour passer brillamment les traits les plus fleuris, le contraste étant saisissant entre les notes les plus douces et celles émises à pleine voix. Cette opposition est accentuée en seconde partie, avec la cabalette Vien diletto des Puritani de Bellini. La cantilène Qui la voce qui précède est splendide et émouvante – on se souvient que la chanteuse avait abordé le rôle d’Elvira au Festival de Radio-France et de Montpellier en juillet 2017, dans la version dite Malibran. Le long duo Les chants joyeux, l’aspect de cette noble fête qui clôt la première partie, extrait des Troyens de Berlioz, forme une absolue merveille. Réunissant pour le coup les deux sœurs Anna et Didon, l’équilibre entre voix et musique, la beauté du chant, le soin apporté à la qualité de la prononciation, tout concourt à mener vers les cimes.

Défendre les compositrices oubliées, ou trop peu jouées, est une cause que poursuit avec passion la cheffe Debora Waldman. Elle était en particulier aux commandes il y a trois ans de la création mondiale de la Symphonie en ut # dièse mineur Op.10 « Grande Guerre » de Charlotte Sohy (1887-1955). Ce soir, les musiques de Louise Bertin (1805-1877) et de Clémence de Grandval (1828-1907) sont invitées. De la première, l’Ouverture de Fausto donne envie d’en connaître davantage sur cet opus. Les premières mesures, solennelles – à la manière de celles qui ouvrent Don Giovanni (Mozart) – précédent des séquences diverses dans leurs mélodies et surtout les orchestrations, quelques-unes à la forte couleur romantique. De la suivante, les extraits de Mazeppa (Prélude de l’Acte III, puis Danse ukrainienne) font entendre des accents plus exotiques, mettant à contribution le cor anglais et le hautbois, puis amenant un rythme plus soutenu.

Après un délicat J’ai perdu mon Eurydice, bien conduit par Delphine Haidan, Rossini est de retour pour le dernier morceau du programme, le duo Giorno d’orrore du second acte de Semiramide. La complicité des deux artistes se confirme, chantant tantôt séparément, tantôt à l’unisson. Si la cantilène est un enchantement, la cabalette est, en revanche, prise sur un tempo d’une lenteur difficilement imaginable. Le rythme s’effiloche jusqu’à dénaturer ce passage, habituellement formidable tourbillon qui provoque l’excitation auditive. En bis, deux morceaux complètent ce beau concert à la maîtrise d’œuvre principalement féminine : la Barcarolle des Contes d’Hoffmann (Offenbach), puis le duo El desdichado de Saint-Saëns, en espagnol.

IF