Chroniques

par arvid oxenstierna

Kopernikus
opéra de Claude Vivier

Deutsche Staatsoper Unter den Linden, Berlin
- 18 janvier 2019
"Kopernikus", opéra de Claude Vivier, à la Staatsoper de Berlin (janvier 2019)
© gianmarco brasadola

Après la création de Violetter Schnee et la soirée focus sur la musique de Beat Furrer, l’une dans la grande salle, l’autre à l’Apollo Saal, on s’installe aujourd’hui à LINDEN 21, l’ancienne salle de répétition de l’orchestre, un espace que la Staatsoper de Berlin dédie aux formes alternatives et expérimentales [lire nos chroniques du 15 et du 16 janvier 2019]. Là nous est proposée une plongée dans les années quatre-vingt, avec le rituel de mort de Claude Vivier, Kopernikus, à comprendre comme un état de transition, peut-être de transgression. Le chef Errico Fresis dirige des musiciens de la Staatskapelle Berlin et des membres de l’Opernstudio. Il réalise un travail satisfaisant avec cette partition difficile, souvent juchée dans les aigus des vents.

Kopernikus (dédié au compositeur québécois Gilles Tremblay) est à classer dans la catégorie théâtre musical ; il ne s’agit pas d’un opéra ni d’une réflexion sur ce genre. Le propos est une sorte de cérémonie pour Agni, dieu-enfant du feu dans l’hindouisme balinais, qui invite des personnages mythiques ou archétypiques comme un moine, un prophète aveugle, une sorcière, un ondin, Merlin l’Enchanteur, Mozart, l’Alice de Carroll, etc., et aussi l’astronome polonais Nicolas Copernic. Il est conçu pour sept voix et sept instrumentistes. On y sent l’influence de Stockhausen, dont Vivier fut élève entre 1971 et 1974, ainsi que les prémisses du spectralisme, mouvement qui trouve son essor dans ces années-là.

Écrite en 1979, l’œuvre fut créée à Montréal le 8 mai 1980, sous la direction de Lorraine Vaillancourt [lire notre chronique du 18 novembre 2006 qui comprend une interview de la cheffe à propos de Claude Vivier]. Il y est beaucoup question de mort – dès 1971, le musicien canadien a composé Musique pour la fin, un chœur à vingt voix réparties en trois groupes, accompagné par les percussions, en hommage à un ami qui s’était suicidé (création à Berlin en janvier 2012) – et du rapport compliqué du musicien avec son enfance.

Né en 1948, l’orphelin fut adopté à l’âge de deux ans par la famille Vivier. Un oncle l’abusa sexuellement lorsqu’il en avait treize. Du pensionnat catholique où il poursuivit sa scolarité, il fut exclu en 1966 à cause de son caractère indiscipliné et agressif, sans doute aussi à cause de son homosexualité. Sa rencontre avec les spectraux parisiens est contemporaine de l’élaboration de Kopernikus.

Tandis qu’il projette un opéra sur la mort de Tchaïkovski, Vivier accueille dans son appartement parisien un prostitué de dix-neuf ans avec lequel il avait une relation plus ou moins sadomasochiste. Vu l’état des lieux lorsque la police découvre son corps, en mars 1983, après qu’une amie ait signalé n’avoir plus aucune nouvelle, il semble qu’une querelle très violente se soit engagée entre les deux hommes, conclue à coups de couteau (rapidement identifié, le délinquant est arrêté en novembre).

La dernière édition du Festival d’automne à Paris célébrait Vivier par un portrait filé sur plusieurs concerts. Peter Sellars signait sa vision de Kopernikus [lire notre chronique du 4 décembre 2018]. Ici, l’affaire est confiée à Wouter Van Looy dont nous avons applaudi (After) the Fairy Queen [lire notre chronique du 7 février 2009]. Il livre une mise en scène inventive et habitée qui invoque la mort sans la dramatiser, souvent par abstraction, à l’aide d’un masque, etc., dans le royaume imaginaire d’Agni. La scénographie de Sascha van Riel dispose le public autour d’un plateau ovale où l’on danse comme sur un cercueil translucide. Les costumes de Johanna Trudzinski répondent fidèlement à la fantasmagorie de Vivier.

Le rôle d’Agni, chanté par le mezzo-soprano Corinna Scheurle, est doublé par un enfant muet. Durant une heure vingt, les voix d’Erik Rosenius (basse), Adam Kutny [lire notre chronique du 27 juin 2017] et Giorgi Mtchedlishvili (barytons), Anna Schors (mezzo), Sarah Aristidou et Slávka Zámečníková (soprani) incarnent vaillamment les présences étranges qui concourent au passage de notre ici-bas à un cosmos invisible, à travers un livret de phonèmes construisant une langue inexistante.

AO