Chroniques

par bertrand bolognesi

L’incoronazione di Poppea | Le couronnement de Poppée
drama in musica de Claudio Monteverdi

Festival d’Aix-en-Provence / Théâtre du Jeu de Paume
- 15 juillet 2022
Au Festival d'Aix-en-Provence, "L’incoronazione di Poppea" de Monteverdi
© ruth walz

Dans le charmant écrin qu’offre le Théâtre du Jeu de Paume, retrouvé avec joie [lire nos chroniques de Hanjo, Thanks to my eyes, Elena, Erismena et Combattimento], le Festival d’Aix-en-Provence propose sept représentations de L’incoronazione di Poppea, dixième et dernier ouvrage lyrique de Monteverdi – le temps ayant enfoui sept d’entre eux, notre approche doit se contenter de trois opus –, créé en février 1643, au Teatro Grimani de Venise (ou Teatro dei Santi Giovanni e Paolo).

Une équipe de jeunes artistes fort talentueux est réunie sur la scène de l’édifice inauguré en 1787, restauré deux cents ans plus tard et rouvert au premier printemps du XXIe siècle. Outre leurs qualités vocales et musicales, louons d’emblée le vigoureux engagement théâtral dont tous font preuve. La douceur de timbre, la fiabilité de l’intonation et l’élasticité corporelle, pour ainsi dire, d’Yannis François campent des apparitions attachantes (Littore, Famigliare 3, Console) [lire nos chroniques de Giulio Cesare in Egitto, Moscou Paradis et Requiem]. Le ténor incisif de Riccardo Romeo est parfaitement employé (Liberto, Soldato 2, Tribuno) [lire notre chronique du Mondo della luna], quand la couleur flatteuse et le style raffiné de Laurence Kilsby, vraisemblablement hérités de son enfance de sopraniste [lire notre chronique de L’Allegro, il Penseroso ed il Moderato], fascinent en Lucano (également Soldato 1, Famigliare 2 et Tribuno). D’abord insolent Amore, puis Valletto non moins vif, le soprano Julie Roset brille par la souplesse vocale, là où le soprano indo-étasunien Maya Kherani livre une Fortuna puissante à la superbe attachante, puis une Drusilla dont convainc la fervente tendresse.

D’abord Virtù, le mezzo Fleur Barron affirme une indéniable autorité dramatique en Ottavia dont elle magnifie le chant [lire nos chroniques de Nabucco, Eugène Onéguine et Madama Butterfly]. Rondeur et moelleux caractérisent la voix de Paul-Antoine Bénos-Djian, alto auquel est confié le rôle d’Ottone dont il s’acquitte honorablement, à l’inverse de Jacquelyn Stucker, soprano tonitruant qui, de toute la soirée, ne parvient pas à sertir des moyens qu’elle a grands, brâmant dès lors une Poppea d’une discourtoise instabilité – sans doute ce répertoire nécessite-t-il qu’elle cultive différemment son art, voire qu’elle s’abstienne et le concentre sur des emplois mieux adaptés à son format.

De cette assemblée majoritairement bien chantante, trois voix captivent l’oreille. L’excellent Miles Mykkanen met à profit un gosier d’une malléabilité confondante dans une double incarnation, celle des nourrices des rivales en amour comme en règne, Ottavia (Nutrice) et Poppea (Arnalta). Favorisant l’élégance du chant plutôt que la coutumière caricature à laquelle semble inviter le travestissement, le ténor étasunien (d’origine finlandaise) signe une composition à double face d’un grand niveau musical. Récemment applaudi à Bordeaux [lire notre chronique de Don Giovanni], la basse puissante et déliée d’Alex Rosen livre un Seneca de toute beauté, égal sur toute la tessiture, y compris dans les profondeurs abyssales, étonnamment sonores. Enfin, Jake Arditti prête à l’empereur un contre-ténor d'une exemplaire agilité, avantageusement projeté, qui soigne une ligne vocale toujours infiniment tonique [lire nos chroniques de Tres Canciones lunáticas, Cuerdas del destino, Agrippina et La divisione del mondo].

Lorsque Leonardo García Alarcón, arrivant par la salle, pénètre dans la fosse, c’est pour lancer une course folle de près de trois heures et demie dont il sert l’urgence avec la vivacité qu’on lui connaît. À l’écoute des voix, le chef mène habilement sa Cappella Mediterranea, avec un enthousiasme qui semble parfois oublier que ce théâtre-là est dit aussi musical. Cette ardeur brûle de pair avec la mise en scène de Ted Huffman, toute centrée sur le climat de sensualité débridée que déploie le livret, en conformité avec une certaine idée que l’on se fait d’un érotisme romain antique. Si l’on salue l’idée ingénieuse d’une ronde des acteurs, toujours en scène à jouer ou à écouter leurs confrères, tels valets de théâtre – idée où l’on peut voir un hommage au regretté Peter Brook –, l’on apprécie autrement la lourde insistance sur un commerce qui, loin d’être amoureux n’est plus même érotique mais brutalement sexuel. Ce matériau ne constitue certes pas quelque hors-sujet, mais à tant focaliser sur l’incessant lupanar, la production, exclusivement divertissante dans la plus pauvre acception du terme, fait l’impasse de bien d’autres aspects de L’incoronazione di Poppea.

BB