Chroniques

par bertrand bolognesi

l’après-midi étasunien de l’Orchestre de Paris et de l’EIC
Cowell, Crawford Seeger, Feldman, Nancarrow et Partch

Le Studio / Philharmonie, Paris
- 6 novembre 2021
L'EIC et l'Orchestre de Paris jouent les pionniers étasuniens
© dr

Le deuxième rendez-vous du week-end Pionniers américains de la Philharmonie de Paris se concentre à la fois sur le quatuor à cordes et sur l’écriture pour piano mécanique, avec des pages écrites entre 1931 et 1988. En effet, la conception des cinquante Studies for player piano de Conlon Nacarrow [photo] s’étale de 1948 à 1992, au fil de sept recueils, et son String Quartet n°3 date de 1988 – la brochure de salle qu’édite la Philharmonie imprime 1998, avec une création dix ans plus tôt, sachant que l’auteur décédait en 1997… no comment. Les enregistrements furent réalisés par Jürgen Hocker sur un Bösendorfer à queue, équipé d’un mécanisme Ampico. Derrière le petit plateau du Studio, la projection de cinq vidéos de ces études, accueillie par un écran, vient ouvrir puis ponctuer les exécutions de pages quartettistes par deux musiciens de l’Orchestre de Paris et deux musiciens de l’Ensemble Intercontemporain, entendu hier dans la soirée d’ouverture de ce cycle [lire notre chronique de la veille].

Après le défilé du rouleau perforé de l’Étude n°8, nous retrouvons la verve particulière d’Henry Cowell (1897-1965), plus connu pour ses opus pianistiques, où John Cage puiserait plusieurs décennies plus tard l’idée du piano préparé, que pour les autres. Cinq motifs constituent son Quatuor à cordes n°3 « Mosaic Quartet » de 1935, sans qu’un ordre soit imposé aux officiants, parfaitement libres de leur parcours – invention de l’œuvre ouverte ou de l’aléatoire, donc, bien avant les fameux compères de Darmstadt. On admire la clarté de sonorité et la tonicité de l’inflexion, tant dans le trait solo de Frédéric Peyrat (violoncelle) que dans la conduite générale, assurée par Diego Tosi (violon).

Passé le bois verni où s’illustre l’Étude n°15 de Nancarrow, abordons l’aventurier Harry Partch (1901-1974), dont l’œuvre passionne si bien l’un de nos confrères qu’il publiait dans nos colonnes une somme sur le sujet [lire notre dossier du mois de février 2007], avec Two Studies on ancient greek sales écrit entre 1946 et 1951, adapté pour quatuor par l’assistant de Partch, le compositeur Ben Johnston (1926-2016). Un orientalisme façon Vivier domine cette page que chante l’excellent Diego Tosi sur un tapis de pizz’ tissé par ses camarades. Peu à dire de l’Étude n°32 pour piano mécanique, si ce n’est qu’elle est suivie du fort beau Quatuor de Ruth Crawford Seeger (1901-1953), datant de 1931, où se fait nettement entendre l’influence de l’École de Vienne. John Stulz livre un solo d’alto généreusement phrasé, d’une raucité farouche.

Des Studies de Nancarrow, la vingt-et-unième, Canon X, nous semble la plus intéressante. Imaginée pour l’accélération, cette étude conçue dans les derniers mois de 1961 manie une règle rythmique ingénieuse qui pourvoit à la course comme à son épuisement – d’où le X du titre, dessinant le chemin qui la caractérise. Créées le 30 mai 1956 à New York par le Juilliard, les Structures de Morton Feldman (1926-1987), composées en 1951, conjugue ces confins du silence qu’on lui connaît bien et ce dépouillement qui fait son acception spécifique du minimalisme. Entre hoquets de fragments et sons droits à peine brossés dans le désert, l’œuvre invite à la méditation. Le parfait équilibre entre les quatre instruments, la partie de second violon étant tenue par Elsa Benabdallah, laisse pantois. Alternant un chemin de trois lignes distinctes et un redoutable agglomérat de sections répétées extrêmement rapides, l’Étude n°24 de Nancarrow (1963) retient également l’écoute. Cette obsession des combinatoires de canons rythmiques n’est pas éteinte lorsqu’il compose les trois mouvements de son Quatuor à cordes n°3 (1987), pour les Arditti qui le créèrent à Cologne le 15 octobre 1988. La section médiane est une splendide énigme d’harmoniques.

BB