Chroniques

par jérémie szpirglas

L’enfant et les sortilèges
opéra de Maurice Ravel

Opéra de Lausanne / Salle Métropole
- 16 avril 2010
© marc vanappelghem

Le premier piège tendu par L’enfant et les sortilèges de Ravel à l’ambitieux metteur en scène désireux de s’y frotter est celui des costumes et décors – justement à cause de ces fameux sortilèges. Que faire pour qu’un chanteur incarne un fauteuil ou une horloge ? Pour qu’une chanteuse flambe ?

Benjamin Knobil, accompagné pour cette nouvelle production de l’Opéra de Lausanne par le décorateur Jean-Marie Abplanalp et surtout par le costumier fou Sébastien Guenot, apporte une réponse à la fois simplissime et extrêmement compliquée : en prenant le texte de Colette au pied de la lettre. Les taches d’encre sur le tapis, le livre d’image, etc., tout y est. Et, dès le début, la colère de l’enfant s’illustre aussi merveilleusement lorsqu’il claque la porte – et que la cloison entière s’écroule sous le choc !

Le costume du Fauteuil est ainsi un… fauteuil ! Qui s’agite sitôt que l’enfant fait mine de s’y asseoir – puis quitte la pièce après ses remontrances. L’Horloge comtoise sort alors de son placard, le visage illuminée dans son cadran, le pendule dans la main, sonne en boitant et s’en va à son tour. Tasse et Théière sont coiffées de chapeaux idoines et emportent la table sur leurs épaules. Le feu a la tête dans le poêle, avec lequel il sort également. Lorsque bergère, pâtre, pastoureaux et pastourelles embarquent la toile lardée de coups de couteaux qui orne le mur du fond, et que l’arithmétique, couverte d’équations, disperse les livres, la scène est tout à fait nue – laissant tout loisir au chat de planter le décor d’extérieur en plantant quelques fleurs sur le plateau. Pour parfaire l’impression, les chanteurs portent sous ce masque ou cette carapace un complet trois-pièces et des gants blancs qui rappellent ceux de l’homme au chapeau melon (et à la tête de pomme) de Magritte – l’enfant projetant ainsi dans chacun des objets la mère, qu’on a aperçue au début dans cet élégant habit.

Dans le jardin, arbres et animaux seront costumés de même, et si Benjamin Knobil y trouve moins d’astuces que dans la première partie, la poésie (alliant simplicité et fidélité au texte) de sa direction d’acteur suffit à prolonger la magie scénique du spectacle.

On voit donc assez peu le visage des chanteurs – ou alors blafard et blanchi, éclairé par une petite loupiotte au fond du costume –, mais les masques n’empêchent heureusement pas la projection du son et la clarté de l’élocution. Reprenant le principe de l’atelier lyrique, qui donna naissance voilà vingt-quatre ans à cette version de poche du chef-d’œuvre ravélien grâce à Didier Puntos –qu’on retrouve ici au piano avec Marie-Cécile Bertheau, Jean Daniel Castellon (flûte) et Pascal Michel (violoncelle) –, le plateau est composé en majeure partie de jeunes chanteurs, principalement locaux, parmi lesquels on appréciera notamment Prune Guillaumon (bergère, pâtre, chatte, écureuil), Liliana Faraon (feu, pastourelle, rossignol, chouette), Alexandre Diakoff (horloge, chat) et Julie Martin du Theil (princesse, chauve-souris). Solenn’ Lavanant Linke est un enfant convaincant – sa voix est d’abord un peu trop adulte, mais sa maîtrise du timbre et du vibrato, parfaitement mis au service du texte, fera bientôt son effet, de même que sa prestance très travaillée de sale gosse.

JS