Chroniques

par bertrand bolognesi

L’Incoronazione di Poppea | Le couronnement de Poppée
opéra de Claudio Monteverdi

Opéra national du Rhin, Strasbourg
- 30 avril 2005
© alain kaiser

Il n'est pas si courant de rencontrer une Incoronazione di Poppea si satisfaisante que celle de ce soir… La première strasbourgeoise du spectacle dont Paris eut la primeur cet automne (il ne s'agit pas d'une reprise mais d'une coproduction conjuguant les efforts de l'Opéra national du Rhin, de la Deutsche Staatsoper de Berlin, du Théâtre royal de La Monnaie de Bruxelles et du Théâtre des Champs-Elysées) bénéficie d'une distribution équilibrée, d'une direction précise et rigoureuse et d'une mise en scène d'une grande inventivité dont l'aura emporte l'adhésion du public.

David McVicar semble retrouver là quelques personnages d'Agrippina de Händel [lire notre chronique du 23 septembre 2003]. Il choisit un climat général analogue, habité d'une même vitalité et traversé d'exquis décalages comparables. La structure de ce travail pourrait bien s'inscrire dans une sorte de schéma, au risque parfois d'appuyer certains systématismes laissant poindre que l'inventivité revendiquée souffrirait cependant de redites décevantes. La machine est efficace, fonctionne à merveille, réunissant juste ce qu'il faut d'irrévérence pour alimenter les conversations, sans dénaturer le propos. Elle offre de vrais moments de rire, bien que certaines scènes détournent l'attention vers des points de détails au risque de noyer le sujet. Réflexion ou recette, continuité ou redite, motifs ou tics ? – lui seul le sait. McVicar se sert une nouvelle fois des gesticulations de notre quotidien, de l'ironie sur nos médias, de la représentation des classes dominantes rongées par des plaisirs destructeurs, etc. Il s'entoure d'une équipe excellente, Rob Jones magnifiant la mise en scène par l'élégance des décors,Paule Constable par l'à-propos des lumières, tandis que les costumes deJenny Tiramani et la chorégraphie d’AndrewGeorge accompagnent en bonne intelligence ses options.

Rinaldo Alessandrini dirige cinq de ses complices du Concerto Italiano pour le continuo et six musiciens de l'Orchestre Symphonique de Mulhouse dans le tutti. Avec cette formation réduite, il offre un soutien soigneux et toujours minutieusement à l'écoute des voix, et un chemin d'une grande clarté au déroulement de la partition.

Le plateau vocal est captivant, dominé par la superbe Poppea de Miah Persson. Le timbre affirme une belle égalité, vivifiée par une expressivité absolue, la voix s'avère souple et la présence scénique idéale. Jeremy Ovenden est un Nerone vaillant et extrêmement clair, avec un grave parfois un peu faible. Il incarne parfaitement le capricieux goret de l'histoire. Andrea Concetti donne un Seneca avantageusement sonore, doté d'un legato bien mené. Les nourrices s'en donnent à cœur joie : celle d'Octavia, Andrew Watts, contreténor étonnamment puissant, monté sur talons aiguilles et ridiculement perruqué ; celle de Poppea, Arnalta, campée par un Jean-Paul Fauchécourt excellent, nuançant tant le jeu que le chant dans un personnage drôlissime et toujours juste. L'Ottone de Stephen Wallace demeure peu convainquant, et se laisse même couvrir par une fosse si légère. L'Octavia de Francesca Provvisionato s'engage dans un chant d'une théâtralité terrible, n'hésitant pas à enlaidir la voix s'il le faut, tandis que Cristina Zavalloni présente une Drusilla attachante dont on aimerait pouvoir goûter plus précisément la qualité du grave (assez peu sollicité par le rôle, mais suffisamment pour laisser poindre une intéressante couleur) ; elle se révèle immense comédienne.

BB