Chroniques

par gilles cantagrel

L’Italiana in Algeri | L’Italienne à Alger
opéra de Gioacchino Rossini

Opéra de Lausanne (saison hors les murs), Salle Métropole
- 28 novembre 2010
Emilio Sagi met en scène L’Italiana in Algeri (Rossini) à l'Opéra de Lausanne
© marc vanappelghem | opéra de lausanne

De longue date, L’Italienne à Alger de Rossini s’est imposée sur les scènes internationales, dans des réalisations où le meilleur côtoie parfois le pire, scéniquement comme musicalement. La présentation que vient d’en donner l’Opéra de Lausanne triomphe sur les deux tableaux. Et d’abord, par les qualités musicales de la production. En tête d’affiche, l’Italienne Anna Bonitatibus, familière du répertoire de bel canto, épatante de chic et de maîtrise d’un rôle éprouvant. Son timbre et son jeu évoquent ceux de Teresa Berganza, ce qui n’est pas peu dire, avec en scène l’aisance, l’humour et la vivacité qu’exige le rôle d’Isabella, mais sans jamais sur-jouer le personnage. On n’est pas non plus surpris d’applaudir à ses côtés l’excellent Lawrence Brownlee, dont Lindoro est l’un des rôles fétiches, ni le Mustafà – bouffe mais pas bouffon – de Luciano Di Pasquale.

Auprès d’eux, l’ensemble de la distribution est parfaitement homogène, avec Elizabeth Bailey (Elvira), Riccardo Novaro (Taddeo), Antoinette Dennefeld (Zulma) et Alexandre Diakoff (Haly), sans oublier les chœurs préparés par Véronique Carrot, parfaits d’ensemble et de présence scénique. Dans la fosse, le remarquable Orchestre de chambre de Lausanne cisèle la partition avec l’extrême raffinement, le style et l’élégance que leur insuffle Ottavio Dantone, qui fait jaillir l’invention foisonnante d’un jeune compositeur de vingt-et-un ans.

À ces qualités musicales s’ajoute le charme d’une merveilleuse présentation scénique. La direction d’acteur d’Emilio Sagi, pleine de trouvailles toujours en situation, fait évoluer les personnages de cet imbroglio avec un constant bonheur, dans un dispositif scénique stylisé, inspiré des peintres orientalistes de la fin du XIXe siècle, sans négliger de facétieux clins d’œil au temps présent. Chaque tableau joue sur deux ou, au plus, trois couleurs, le blanc et le noir, puis le rouge et le blanc, le vert et le bleu, sans parler des trois couleurs de l’Italie, avant l’épilogue, aussi bien dans les décors, les costumes et les éclairages si délicats, avec leurs contre-jours et leur subtile évolution.

Tout cela est charmant, léger, et surtout d’un goût parfait, là où il est si facile de sombrer dans la farce grossière. En un mot, démonstration est faite que l’imagination, le talent et le goût, dans le respect de l’œuvre, peuvent mener au plus grand enchantement. On le savait depuis Jean Vilar ou Giorgio Strehler, mais on a depuis un moment quelque peu oublié ces vertus cardinales.

Comme pour d’autres ouvrages, l’Opéra de Lausanne cultive les coproductions avec quelques partenaires, privilégiés, en l’occurrence le Teatró Municipal de Santiago du Chili et l’Asociación de Amigoa de la Ópera de Bilbao, façon la plus intelligente d’unir les talents et de partager les coûts. Autre partenaire privilégié, la Radio Suisse Romande qui enregistre les représentations et les diffuse peu après.

En attendant la réouverture de la salle de l’Opéra, l’ancien Théâtre municipal où a été créée l’Histoire du soldat, inauguration promise pour célébrer le cent-quarantième anniversaire de la fondation de l’institution, le théâtre lyrique campe pour la quatrième année hors les murs, dans la Salle Métropole, aménagée en lieu de théâtre lorsque Maurice Béjart et sa compagnie en étaient les hôtes. Cela n’a pas nui pour autant à la créativité de la programmation d’une saison ouverte avec Un Ballo in Maschera, et qui prévoit, après La Fille de Madame Angot pour les fêtes de fin d’année, première mise en scène de la comédienne Anémone, un Pierre et le loup repris en février [lire notre chronique du 26 avril 2006], Roméo et Juliette de Gounod en mars, au théâtre de Beaulieu, et en mai un très prometteur Rinaldo de Händel dirigé par Diego Fasolis.

Un grand bravo au directeur, Éric Vigié, musicien de formation qui a travaillé au théâtre avec les plus grands metteurs en scène. Parmi ses initiatives, je voudrais signaler celle de « la route lyrique » : un charmant spectacle itinérant réunissant deux opéras bouffe sur le même sujet, Pimpinone de Telemann et La Serva Padrona de Pergolèse, emmené l’été dernier pour près de vingt représentations sur diverses scènes de petites localités du canton de Vaud, à commencer par le mythique théâtre du Jorat à Mézières, inauguré en 1908 et qui a vu notamment, en 1921, la création du Roi David d’Honegger. La ville de Lausanne compte environ 120 000 habitants, 300 000 pour toute l’agglomération. Une vingtaine de musées, plus de trente salles de spectacles, divers festivals, un orchestre de chambre permanent, un opéra : bien peu de villes peuvent se vanter d’entretenir avec ferveur une vie culturelle d’une telle intensité et de pareille qualité.

GC