Chroniques

par gilles charlassier

La bella addormentata nel bosco | La belle au bois dormant
opéra d’Ottorino Respighi

Opéra national de Lyon / Théâtre de la Croix-Rousse
- 13 février 2018
Barbara Horáková met en scène le conte de Perrault via l'opéra de Respighi
© blandine soulage

Si la traduction musicale de La belle au bois dormant demeure sans doute le ballet de Tchaïkovski, relayé par la chorégraphie de Petipa et de ses successeurs, il n'en faudrait pas pour autant oublier la version lyrique livrée au Teatro Odescalchi (Rome) en 1922 par Ottorino Respighi, La bella addormentata nel bosco – deux révisions successives verront le jour, l'une douze ans plus tard à Turin, et l'autre, posthume en 1967 par les mains de Gian Luca Tocchi et Elsa Respighi, la veuve du compositeur, également dans la cité piémontaise. La renommée partiale dont jouit le musicien italien, souvent résumée à son diptyque symphonique Fontane di Roma etPini di Roma et quelques pastiches d'airs anciens, laisse dans l'ombre sa production opératique [lire notre critique du CD Belfagor]. Ainsi le présent opus, à l'affiche du Théâtre de la Croix-Rousse en ce mois de février, fit-il son apparition (jusqu'à ce jour sans lendemain) sur les scènes françaises en 2014 seulement, dans une adaptation vernaculaire de Vincent Monteil pour le Studio de l'Opéra national du Rhin.

Imaginé pour le marionnettiste Vittorio Prodecca, l'ouvrage reprend le conte de Perrault dans son jus du XVIIe siècle, du moins pour la première partie, située dans le règne de Louis XIII. Car le sommeil ne durera pas cent ans, mais trois cents, et offrira un délicieux pont entre l'antique et le moderne, comme l'affectionnait Respighi dont l'originalité n'avait cure des querelles d'avant-garde. C'est dans ce réveil que réside tout le sel ironique du livret de Gianni Bistolfi – et de la partition. Parodie mettant en abyme la féerie, un rallie-papier réunit, au milieu d'un groupe de chasseurs, le prince Avril aux bras d'une duchesse, laquelle se consolera avec un Américain du nom de Mister Dollar, et le final se dansera sur un fox-trot.

Avec la complicité d'Antoine Joly, qui a traduit en français les répliques parlées (sans toucher à l'italien chanté) et procédé à quelques amendements par plusieurs ajouts, Barbara Horáková a choisi de diffracter la continuité narrative en un kaléidoscope de points de vue, suggéré par la relecture de Respighi. Le décor au lever de rideau, une masse grisâtre qui s'éparpille en débris hétérogènes, fut inspiré par un voyage de la metteure en scène à Bali où elle fut frappée par le violent contraste entre l'idylle de carte postale et « les saletés apportées par le monde occidental ». Ainsi cela forme-t-il un terreau négatif sur lequel poussera l'illusion imaginaire, en une dialectique poétique lisible quoiqu'un peu appuyée. Le troisième acte confirme l'efficacité explicite de la scénographie d’Eva Maria van Acker. Originellement embusqué derrière les mots, Walt Disney débarque sans gêne sur le plateau. Le couple royal s'encombre de masques de Mickey un rien attendus pour la pacotille, tandis que les fluorescences des costumes et les billets verts du milliardaire assument un irrésistible mauvais goût, auquel une palette burlesque un peu plus variée dans le jeu d'acteurs (en particulier du prince) aurait davantage rendu justice. On signalera les lumières habilement réglées par Michael Bauer, libérant les feux de la rampe pour un lieto finale moins univoque qu'il n'y paraît.

Idéalement calibrée pour une distribution de jeunes solistes, la pièce s'est naturellement inscrite à la programmation du Studio de l'Opéra national de Lyon, placé sous la férule de Jean-Paul Fouchécourt. La fraîcheur des babils se goûte dans la fée bleue haut perchée, svelte et acidulée, incarnée jusqu'au milieu du public par Henrike Henoch, également rossignol et fuseau. Jan Żądło affirme des ressources de maturation en Roi, que l'on retrouve en bûcheron et en ambassadeur. La Reine, Beth Taylor, séduit aussi en coucou et en chat. Nikoleta Kapetanidou ne corsète aucunement sa Princesse qui ne court pas après la gracilité. Après une apparition en bouffon, Grégoire Mour tire parti de sa jeunesse pour camper un Prince confit de narcissisme comique. Ana Victória Pitts se glisse avec autant de gourmandise dans les habits de la Duchesse et de la vieille dame qu'Angelo Rinna dans ceux de Mister Dollar – et la voix de l'ami imaginaire. Préparée avec soin par Karine Locatelli, la Maîtrise de l'Opéra national de Lyon s'égaie avec un plaisir communicatif, quand la direction de Philippe Forget accompagne les saveurs mélodiques et rythmiques d'une musique chatoyante [lire notre chronique du 7 novembre 2014]. Le spectacle est coproduit avec l'Opéra national Montpellier Occitanie qui trouvera là un premier choix pour son programme Opéra Junior.

GC