Chroniques

par gilles charlassier

La bohème
opéra de Giacomo Puccini

Théâtre du Capitole, Toulouse
- 6 octobre 2010
Dominique Pitoiset met en scène La bohème (Puccini) au Capitole (Toulouse)
© patrice nin

C’est devant un public restreint que la première des trois représentations Jeunes Talents de La bohème a été donnée ce mercredi soir au Théâtre du Capitole, qui vient de rouvrir après des travaux de rénovation. L’idée de proposer une distribution alternative d’un grand classique du répertoire à une tarification plus accessible n’est pas une nouveauté. Le Teatro del Liceu à Barcelone, par exemple, programme, pour la majorité des productions de la saison, des funciones populares en parallèle aux soirées plus prestigieuses et internationales. C’est que, dans la Ville Rose, on aime les voix et on en sait le prix – comme en Catalogne. Et le plateau, équilibré, n’a pas démérité et tiendrait la dragée haute avec ce qu’il nous est parfois donné d’entendre au prix fort dans de grandes salles.

À l’applaudimètre, c’est le Rodolfo de Jin-Min Park qui arrive sur la première marche. Le Sud-Coréen connaît les ficelles du métier. La ligne et la sentimentalité sont maîtrisées et répondent aux attentes de la partition et du public, satisfait par l’émotion à gros grain exprimée par le poète. La timidité de Mimi trouve en Olga Mykytenko une interprète à la réserve et à la gaucherie discrètes. Le soprano ukrainien montre une couleur tout à fait idiomatique qui fait à peine regretter des aigus un peu crispés au premier acte et des minauderies maladroites au troisième. L’autre voix féminine de l’opéra, Musetta, est incarnée par une Cristina Dietzsch au tempérament germanique et aux allures de Bree van de Kamp en imperméable synthétique noir. La cocotte a une ligne svelte et impeccable, qui compense un vibrato un peu court. Le Marcello de Seung-Gi Jung manifeste une belle présence scénique, un peu rustaude. L’émission semble cependant un peu forcée, au premier tableau, comme à l’acte final. Nahuel Di Pierro campe un Colline vif, même si la basse doit gagner encore en rondeur, tandis que le Schaunard d’Artuu Kataja fait preuve d’une maturité indéniable – il lui reste à trouver davantage d’endurance.

Sous la baguette de Niksa Bareza, l’Orchestre national du Capitole de Toulouse déploie les contrastes de la partition de Puccini. Le chef croate caractérise avec bonheur l’alternance un peu brutale de lyrisme enflé et de musique de rue qui fait le succès et le charme unique de La Bohème. On sent dans la rondeur un peu épaisse des cordes, au début du troisième acte, la mélancolie pesante qui étreint un Rodolfo jaloux et un spectateur ému. L’interruption des blagues potaches entre les quatre jeunes gens dans la mansarde et son orchestration gaie et triviale par l’entrée de Musetta et Mimi est conduite avec une sobriété efficace. Le drame se fait poignant, sans emphase, ni esthétisation hors de propos.

La mise en scène de Dominique Pitoiset met en évidence, à l’aide d’un dispositif unique, l’indifférence du monde d’en-haut, la bourgeoisie, pour celui d’en-bas, la bohème, la marge de la société. L’atmosphère et les costumes sont un peu grisâtres, et penser une proximité entre les personnages de Murger et les enfants de Don Quichotte permet de donner une représentation rapide à la matérialité de la misère de Rodolfo et de ses amis. Le panneau publicitaire airfly au dernier acte fait un écho un peu facile à la fragilité de Mimi, ange qui s’envole comme la flamme d’une chandelle consumée. Il reste que les ombres crépusculaires qui se dessinent sur cette stèle du consumérisme font passer une émotion sincère, concluant un spectacle à la dialectique lisible sur le même mode de la simplicité et de l’efficacité émotionnelle.

GC