Chroniques

par françois cavaillès

La bohème
opéra de Giacomo Puccini

Opéra royal de Wallonie, Liège
- 17 juin 2016
Patrizia Ciofi chante Mimi dans La bohème (Puccini) à l'Opéra royal de Wallonie
© lorraine wauters | opéra royal de wallonie

La toute fin de saison de l'Opéra royal de Wallonie est marquée de cérémonie avec une nouvelle production de La bohème de Puccini, opéra familier car si souvent à l'affiche, qui est même devenu un rite aux éléments dramatiques bien agencés – les jeunes artistes de Montmartre, la midinette, la cocotte, le café au cœur de Paris, le bordeaux pour se réchauffer aux fêtes de Noël, etc.. Quasi immédiat sur les scènes du monde entier, depuis la création en 1896 au Teatro Regio de Turin, sous la direction du jeune Arturo Toscanini (vingt-neuf ans alors), son succès perdure, tout comme son pouvoir d'initiation à l'opéra, qui semble même universel.

« Si je peux, si jamais il est possible de donner La bohèmedans mon pays... », imagina d'ailleurs le grand souverain du Siam, Rama V, aussi appelé Chulalongkorn, parti à la découverte de l'Europe et de l'opéra italien à la fin du XIXe siècle, dans une lettre à sa fille restée à Bangkok, après avoir assisté en mai 1897 à l'une des toutes premières représentations de La bohème... mais il s'agissait de la version composée par Leoncavallo et créée un an après celle de Puccini. Le bon roi mélomane qui, entre autres grands bienfaits, mit fin à l'esclavage dans son pays, retient notamment dans l'opéra occidental, en comparaison avec son équivalent thaïlandais, la large place faite à l'improvisation. « Chez nous, écrit-il dans son journal de voyage, il y a des limites qui n'existent pas chez les Occidentaux. Ceux-ci peuvent à tout moment créer de nouvelles compositions. Ils ont des sons extrêmement faibles, du plus lent au plus rapide. Ils peuvent intercaler n'importe quel rythme à leur gré. Si la combinaison est bonne, la musique est harmonieuse ».

À Liège, dans la mise en scène de Stefano Mazzonis di Pralafera, directeur artistique et général de la belle maison blanche, l’ouvrage puccinien paraît avant tout efficace en ce qu’il met joliment l'accent sur la rencontre, simple et vivante, entre Rodolfo et Mimi. Ainsi avant son entrée, habituelle chandelle à la main, la mignonne fait une brève première apparition originale, pour écouter un peu à la porte des garçons. Le choix d'un Montmartre sorti de l'Occupation est sensible dans les costumes soignés, sobres et élégants de Fernand Ruiz, mais aussi dans les décors, signés Carlo Sala, conçus sur deux niveaux pour montrer en plus du merveilleux drame théâtral en haut les allées et venues en bas de quelques goulues au bras des passants. Parmi quelques clichés visuels, la mansarde rappelle cet atelier de peintre reconstitué, à l'américaine, au Musée de Montmartre, dans un quartier aujourd'hui bourgeois-bohème et touristique.

À l'Acte II, dans un café Momus moins spectaculaire qu'à l'accoutumée mais toujours aussi animé, grâce aux Chœurs et à la Maîtrise maison, excellents interprètes, en plus des commentaires si vivants des protagonistes ressort avec superbe, dans cette scène-clé de la soirée, le rôle du peintre Marcello, tenu avec beaucoup de naturel par le baryton Ionuț Pascu, si émouvant et plein d'humanité dans son salut froid à Mimi et ses élans maladroits vers d'autres femmes. Tout à l'honneur du possible chef-d’œuvre du Toscan, ces cinq amis attablés sur un coin de terrasse ravissent en élevant le livret dans l'air du temps, à travers leur discussion, puis leurs regards sur l'amour (illustré par l'apparition de Musetta). Cette conception du drame amoureux, moderne et digne, aussi sensible que le peintre écorché vif, dépasse les autres représentations, grands airs et somptueux tableaux, plus classiques, qui jalonnent l'histoire tragique de Mimi et Rodolfo.

Le couple central est incarné avec brio par Patrizia Ciofi, grande connaisseuse du rôle, subtile et démonstrative, et le ténor Gianluca Terranova, entraînant et généreux. La Musetta du soprano Cinzia Forte se fait aussi chatoyante que sa cape émeraude sur sa longue robe rouge décolletée. À remarquer aussi, la basse Alessandro Spina campe un Colline tout en verve, avec une gravité touchante dans l'air du manteau.

Enfin, l'Orchestre de l'Opéra royal de Wallonie-Liège avec, à sa tête, son directeur musical Paolo Arrivabeni offre un régal aux amateurs de la belle étoffe de Puccini, dès les quelques notes de prélude, puis, par exemple, dans l'accompagnement de la splendide voix aérienne de Mimi, transportée dans ses rêves éveillés depuis la chambre de bonne. Un plaisir d'opéra donné aujourd'hui de par le monde et parfois jusqu'en Extrême-Orient...

FC