Chroniques

par marguerite haladjian

La Cenerentola ossia La bontà in trionfo
Cendrillon ou La bonté triomphante

opéra de Gioacchino Rossini
Opéra-Théâtre d’Avignon et des pays de Vaucluse
- 23 mars 2010
La Cenerentola, opéra de Rossini vu en Avignon
© studio acm

L’écrin rouge et or du théâtre de la cité des papes, imposant sa façade néo-classique sur la place de l’Horloge, célèbre aux heures chaudes du Festival d’Avignon, offre au fil des saisons des spectacles de haut niveau à un public fidèle, conquis et enthousiaste. Amoureux des voix, Raymond Duffaut, conseiller artistique, fit de cette scène un lieu privilégié où les artistes lyriques donnent le meilleur d’eux-mêmes. Sous son égide, la réussite exemplaire car exigeante de cette maison s’est vérifiée lors des deux représentations de La Cenerentola, création coproduite par le Spoleto Festival (Charleston, USA). Ce dramma giocosa en deux actes, crée à Rome le 25 janvier 1817, fut composé en un éclair (vingt-quatre jours) sur un livret de Jacopo Ferreti inspiré de laCendrillon de Charles Perrault, elle-même écrite en vingt-deux jours ! Il est l’un des ouvrages les plus populaires de l’auteur du Barbier de Séville.

Si le surnaturel a disparu, comme la pantoufle de vair ici transformée en bracelet ou l’intervention de la bonne fée qui règle toutes les injustices du destin en un coup de baguette, le ressort essentiel du conte est préservé. Cendrillon, servante esclavagée par ses demi-sœurs et son beau-père, sera sauvée du malheur par le prince charmant use. Le merveilleux est néanmoins présent sous les traits d’Alidoro, précepteur et magicien qui favorise l’amour du prince, dénonce les méchants, démasque les sentiments. Il est le justicier qui combat le mal en faveur de la vertu incarnée par Cendrillon, le Prince et son valet Dandini. Rappelons que le sous-titre de l’opéra, Le triomphe de la bonté, indique la portée morale de l’ouvrage, mais une morale distillée sur le mode burlesque, dans la fantaisie et l’allégresse finale du bonheur reconquis par le retour du bien.

Tout en subtile complicité avec l’ouvrage, sans jamais alourdir la musique par des gestes redondants, la mise en scène, signée Charles Roubaud, attentif aux inflexions de la ligne de chant et aux intentions du compositeur, se déploie dans les décors raffinés et sobres d’Emmanuelle Fabre qu’enrichissent les projections vidéo de Gilles Papain. Les lumières nuancées de Marc Delamézière mettent en valeur le plateau et les chanteurs magnifiquement habillés par l’ingénieuse Katia Duflot, l’une des meilleures costumières de théâtre.

Une distribution vocale homogène et soignée réunit des solistes de grande qualité. Dans cette partition ponctuée d’airs vifs qui respirent la jeunesse, Karine Deshayes est une Cenerentola touchante qui suscite la mise en émotion de l’auditeur. Avec un souci de perfection de la phrase musicale, elle passe du grave à l’aigu avec une souplesse confondante, de l’état de servante à celui de princesse. Son mezzo-soprano ample, aux coloris chaleureux, se livre à des vocalises réjouissantes. Dans le rôle de Don Ramiro, Manuel Nuñez-Camelino, jeune et prometteur ténor argentin, est d’une belle prestance. Il faut souligner la prestation du trio formé par le père, Franck Leguérinel, facétieux Don Magnifico, et ses deux filles, Catherine Mutel et Julie Robard-Gendre qui jouent la comédie et chantent à merveille. Lionel Lhote campe un séduisant et burlesque Dandini et Maurizio Lo Piccolo incarne d’une basse profonde Alidoro qui a plus d’un tour dans son sac à malices.

Le Chœur de l’Opéra d’Avignon (préparé par Aurore Marchand) et l’Orchestre Lyrique de Région Avignon-Provence, sous la direction précise et inspirée de Roberto Rizzi-Brignoli, participent à la réussite d’une production qui profite des possibilités dramatiques et musicales d’une partition qui donne le primat à la voix et dont ils font jaillir toute l’énergie vitale et la force comique. Rossini, l’enchanteur de l’art lyrique !

MH