Chroniques

par gilles charlassier

La clemenza di Tito | La clémence de Titus
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Opéra national de Paris / Palais Garnier
- 10 septembre 2011
Mirco Magliocca photographie La clemenza di Tito (Mozart) au Palais Garnier
© mirco magliocca | opéra national de paris

Le dernier opus lyrique de Mozart cumule les paradoxes. Cette momie de l’opera seria connut, ces quinze dernières années, pas moins de trois productions à l’Opéra national de Paris. L’excessive notoriété de la partition ne saurait justifier entièrement cette générosité, qui s’en retourne à son avatar scénographique princeps, avec la reprise de la mise en scène de Willy Decker, étrennée en 1997, coïncidant avec l’entrée de l’ouvrage au répertoire du Palais Garnier. Elle partage avec ses cadettes un goût louable pour l’intemporalité iconographique modernisée.

Côté visuel, on retrouve les fondamentaux du théâtre de Decker : deux praticables semi-circulaires d’albâtre embrassent un plateau ponctué d’une chaise également éburnéen où trône un bloc de marbre, ébauche d’une statuaire offrant tantôt son visage impassible, tantôt sa nuque. Le complot capitolin laisse s’épanouir une marine où rougeoient des crépuscules de flammes immobilisées. Les costumes, également dus à John Macfarlane, paient un tribut à une esthétisation sobre et efficace, soutenue par une symbolique des teintes. Les courtisans apparaissent de noir revêtus et de poudre fardés, une blanche hermine étreint l’empereur, Servilia et Annio se retirent des enjeux politiques derrière des vestes mimosa, tandis que la soif vindicative de Vitellia s’enveloppe de pourpre sombre. La pantomime de l’ouverture résume la leçon de l’ouvrage, à l’évident classicisme, où la pulpe du sentimentalisme préromantique se mêle à l’idéalisme maçonnique : le pouvoir pervertit la sincérité des hommes, Titus en est la victime presque expiatoire. La couronne passe de main en main et de mésusages en méprises.

L’écrin sobrement éclairé par Hans Toelstede sert utilement le jeu d’acteurs, confié de manière habile à l’instinct des chanteurs. Stéphanie d’Oustrac incarne un Sesto piégé par son aveugle amour pour Vitellia, figé par un maquillage presque fossilisant. L’impact dramatique de la Française imprime une évidence incontournable, qui tolère une certaine austérité là où les usages nous ont habitués à davantage d’épaisseur. Ce n’est d’ailleurs pas la moindre des particularités de la distribution que de faire entendre, face à ce Sesto vocalement un peu diététique mais théâtralement de feu, un Annio plus charnu. Allyson McHardy impressionne favorablement avec son mezzo robuste. Déjà entendue à Aix-en-Provence [lire notre chronique du 15 juillet 2011], Amel Brahim-Djelloul apparaît comme la Servilia idéale d’aujourd’hui. Menue comme sa voix, elle donne au personnage la sincérité parfois espiègle qui lui sied. Un peu en retrait dans les récitatifs, l’instrument rayonne de grâce dans les airs. Hibla Gerzmava livre Vitellia à l’opulence de son timbre. Le soprano abkhaze affuble parfois sa partie d’un vibrato que l’on pourra juger excessif. Le rondo du second acte, Non più di fiori, trahit momentanément la remarquable clarté de prononciation qui caractérise l’ensemble du plateau, arquant sans doute la ligne vocale sur les couleurs du cor de basset – ce qui ne blesse nullement l’oreille, bien au contraire. La lourdeur des aigus instille çà et là un doute quant à l’idiomaticité de la tessiture de l’interprète.

À l’opposé de ces harmonies capiteuses, Klaus Florian Vogt éclaire Titus de la merveilleuse blondeur de son timbre. Les turpitudes et l’amertume du pouvoir semblent trop peser sur ces épaules que souvent l’on entendit naïves dans Parsifal et Lohengrin. Le ténor allemand met un peu de temps à trouver ses marques dans une écriture qui ne soutient pas d’emblée l’émission. Ce défaut de tonicité dans l’accroche pénalise de manière prévisible les vocalises du Se all’ impero, tandis qu’il laisse s’épanouir les nuances psychologiques du caractère. Bálint Szabó maintient Publio dans les limites de la rusticité propre à ce zélé serviteur des honneurs et de leurs cruautés implacables.

Arrachant aux mains des baroqueux l’exclusivité des tempi alertes – chacun des deux actes dure presque cinq minutes de moins que prévu sur le feuillet du spectacle –, Ádám Fischer propose une lecture très vivante, portée par un amour évident pour l’ouvrage. Il n’hésite pas à bousculer les enchaînements essentiels afin de renforcer la progression dramatique, au prix d’un certain léché. Le chœur du vingt-quatrième numéro en est un exemple patent, subissant les applaudissements inopportuns au rondo de Vitellia d’un public confondant le coup de théâtre mozartien avec les codes verdiens. Du coup, l’émotion si particulière de ce moment-clef de la partition est brimée. Préparé par Alessandro di Stefano, le chœur de la maison ne peut rester insensible à ces aléas. L’Orchestre de l’Opéra national de Paris n’en témoigne pas moins une reconnaissance sincère au maestro Fischer, et nous ne doutons pas que les représentations successives sauront apporter au travail entrepris la patine qui lui rendra pleinement justice.

GC