Chroniques

par david verdier

La clemenza di Tito | La clémence de Titus
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Opéra national de Lorraine, Nancy
- 6 mai 2014
La clémence de Titus (Mozart) mis en scène par John Fulljames à Nancy
© opéra national de lorraine

Pour célébrer le retour (tardif) de Mozart à l'opera seria, John Fulljames a choisi d'éteindre les lumières et de plonger la scène nancéienne dans une atmosphère plombée – au propre comme au figuré. Ce choix esthétique a pour conséquence de tuer dans l'œuf tout arrière-plan psychologique qui échapperait au serioso ainsi généralisé… Ajoutons à cela un décor minimaliste, où la pourpre impériale et les chapiteaux d'acanthes sont remplacés par une curieuse cloison pivotante qui isole les personnages et sépare les univers sociaux. Les projections de Finn Ross sur le mur de fond mettent en mouvement tantôt la géométrisation des espaces, tantôt leurs fissures mobiles. Ici comme ailleurs, la sobriété est de mise, la fixité contraignant le spectateur à se concentrer sur des protagonistes qui paraissent écrasés par une noirceur toute métaphorique du pouvoir politique et de ses arcanes. Est-ce par souci d'épure ou volonté symbolique que les chœurs se réfugient dans les loges en bordure de scène ? Plus loin vers la conclusion, on se demandera comment interpréter cette clémence de Titus derrière ces attributs paramilitaires et ce geste de révolte rentrée quand il menace de briser la paroi vitrée, puis se ravise. Alternativement transparent ou opaque, ce mur de séparation fait également office de miroir sans tain derrière lequel on assiste incognito à des interrogatoires ou des scènes intimes. Ce climat de violence sombre et aveugle fait mentir les rares moments de bonheur léger et insouciant, comme si les amours cachées à Titus relevaient de la plus pure futilité car ne relevant pas de la raison d'État ou la contrevenant.

Élément important dans cette scénographie, le choix de deux chanteurs masculins dans les rôles respectifs de Sesto et d’Annio. Passé l'étonnement, on prend rapidement de la distance avec une option dont on peine à discerner si elle tient davantage du souci méticuleux d'authenticité musicologique ou du simple effet de mode. La présence (attestée) de castrats sur la scène pragoise en 1791 a depuis été avantageusement remplacée par l'art de certains mezzos féminins, plus à même de maîtriser les « vocalises-phylactères » de la péroraison du Parto, parto. Franco Fagioli déplace brillamment le propos vers une virtuosité « baroquisante » que Mozart ne recherchait plus vraiment. Quant à Youri Mynenko en Annio, les dérapages sont trop nombreux pour qu'on puisse parler de ligne. Son Torna di Tito a lato est dangereusement exposé et gagnerait à une émission assouplie.

À ses côtés, la Servilia de Bernarda Bobro vibre d'une candeur prenant bien sagement appui sur son médium, sans rien de véritablement adolescent ou attendri. Sabina Cvilak (Vitellia) passe à côté du premier acte, la voix insuffisamment préparée et à la peine dans les vocalises dessoudées de Deh, se piacer mi vuoi. La suite est plus rassurante, notamment dans le tressage des graves redoutables avec la clarinette de Non più di fiori. Miklós Sebestyén est un Publio efficace, véritable animal à sang froid et mauvaise conscience de Tito.

Tito, justement, et ce dilemme cornélien posé par Bernard Richter… le ténor suisse éblouit et désespère par le recours systématique à la puissance de son émission. En acceptant qu'on puisse littéralement écraser la fin de Se all'impero, on pourra trouver là un élément d'incarnation dramatique qui voudrait que l'empereur magnanime ne puisse réprimer vocalement les effets collatéraux de son sceptre politique.

La battue invariablement agitée de Kazem Abdullah hésite entre la nécessaire ductilité des tempi et le souci de faire entrer tout le monde au bon moment. À l'exception d'un continuo empêtré dans ce qui semble être un déchiffrage à vue, l'Orchestre symphonique et lyrique de Nancy répond aux sollicitations du chef américain par une interprétation de haut vol, soutien idéal pour un plateau en quête d'équilibre.

DV