Chroniques

par gilles charlassier

La clemenza di Tito | La clémence de Titus
opera seria de Wolfgang Amadeus Mozart

Opéra de Lausanne
- 18 mars 2018
À Lausanne, Diego Fasolis joue La clemenza di Tito (1791) de Mozart
© alan humerose

Éric Vigié, le directeur de l'Opéra de Lausanne, aime à cueillir les talents à leur éclosion – et pas seulement pour des raisons économiques. Cela vaut pour les chanteurs, à l'exemple d'Olga Peretyatko, qu'il fut l'un des premiers à distribuer en Europe occidentale et qui revint en Amina de La somnambula, le mois dernier, mais aussi pour les metteurs en scène, à l'instar de Fabio Ceresa, récemment jeune lauréat à l'International Opera Award, qui vient de se voir confier, avec la présente Clemenza di Tito, sa première production en terre helvétique.

La lecture proposée par l'Italien s'appuie sur l'efficacité scénographique du travail élégant de Gary McCann. Meublé de marbre vert veiné, le plateau s'organise autour d'un atrium central – siège du trône ou du sacrifice sous un disque lithique aux bordures dorées, orienté à la manière d'une lentille optique, ou encore piscine où s'ébaudit l'empereur au milieu d'éphèbes à la plastique avantageuse en pagne doré, voilés et enchaînés comme en un harem post-Weinstein, repoussant les limites de l'égalité entre les sexes. Une statuaire sans doute mi-Lehmbruck, mi-Arno Becker ceint l'espace scénique, comme autant de modèles pour une intemporelle réflexion sur le pouvoir et la puissance du pardon plongeant ses racines dans l'Antiquité revisitée par Métastase. Une motte de cendres basaltiques au second acte témoigne de la catastrophe, la trahison de Sesto. Les lumières calibrées de Ben Cracknell polissent agréablement une conception équilibrée et illustrative, sans iconoclasme importun, qui renouvelle habilement les manipulations des Herrmann ou d'un Decker.

Dans le rôle-titre, Paolo Fanale déploie une vaillance bien projetée qui concentre sa musicalité dans un Se all'impero riche de nuances et de subtilité psychologique. Salome Jicia distille une Vitellia intense, charpentée, douée d'un évident potentiel pour explorer la complexité du personnage. En confiant Sesto à Youri Mynenko, on se met dans les pas d'une tentation musicologique initiée par l'Opéra national de Lorraine en 2014, où d'ailleurs le contre-ténor ukrainien avait endossé l'habit plus modeste d'Annio. Ici, la placide plénitude de ses moyens vocaux irradie l'incarnation du confident de Tito. Pour Annio justement, la distribution ne va pas au delà des désirs de Mozart : le rôle est confié à un mezzo féminin, conformément à la nomenclature mise au point par le compositeur. Lamia Beuque s'y montre homogène, quand sa dulcinée, Servilia, revient à la frêle et discrète fraîcheur de Sylvia Schwartz (remplaçant Estelle Poscio, souffrante). En Publio, Daniel Golossov affirme une pâte paternelle émérite qui rend plus inoffensive que de coutume l'autorité du capitaine de la garde impériale.

On saluera la précision et la fluidité du Chœur, préparé par Pascal Mayer. À la tête de l'Orchestre de Chambre de Lausanne, Diego Fasolis s'ingénie à diversifier inlassablement la dynamique dramatique de la partition, sa facture rythmique et orchestrale, jouant d'éclairages intimistes inédits, quitte à contrarier parfois l'instinct des notes. Surélevé dans la fosse, le pianoforte délicat de Sergio Ciomei, exquis et imaginatif, se distingue comme un admirable soliste concertant.

GC