Chroniques

par gilles charlassier

La damnation de Faust
légende dramatique d’Hector Berlioz

Staatsoper, Hanovre
- 16 février 2019
Marie-Ève Signeyrole signe "La damnation de Faust" (Berlioz) à Hanovre
© jörg landsberg

Si les célébrations du cent cinquantième anniversaire de la mort de Berlioz ont pu remplir, sans excès de ferveur (à l’exception du sanctuaire de La Côte Saint-André), les agendas des théâtres lyriques, les programmations des maisons germaniques, pourtant généralement à la proue de la défense du maître romantique français, ne semblent guère goûter ce que d’aucuns appelleront la morbidité commémorative. Seuls deux ouvrages sont à l’affiche cette saison Outre-Rhin, où l’on recense une seule nouvelle production : La damnation de Faust, réglée à Hanovre par Marie-Ève Signeyrole [lire nos chroniques d’Eugène Onéguine, Owen Wingrave, Cenerentola, Royal Palace et Le monstre du labyrinthe].

À l’instar de nombre de ses collègues en vue, la Française pratique ce qu’il est convenu d’appeler transposition, cette libéralité avec la littéralité du texte par laquelle se distinguerait quelque modernité scénographique censée faire expurger la contemporanéité – ou l’actualité, c’est selon – d’un répertoire qui, sinon, encourrait le risque de la momification. Cet angle passablement polémique oublie néanmoins la banalité épistémologique de la manipulation, à savoir une approche de l’œuvre favorable à une mise en perspective efficace ou originale. Pour l’opus berliozien qui nous occupe présentement, la metteure en scène cherchait à faire du héros un personnage suscitant l’antipathie. Avec la complicité d’Yashi et ses costumes, elle l’a donc grimé en avide trader à crinière rousse. Réalisée avec Baptiste Klein, la vidéo habille le décor de Fabien Teigné, au diapason de ce tropisme financier qui résumerait la transgressive soif de pouvoir et de domination, en évitant, dans la seconde partie, de reprendre de manière redondante la saturation démonstrative, relayée par la chorégraphie de Julie Compans, aussi alerte que ses interprètes.

La proposition ne se résume pas à un iconoclasme assez prévisible. Si la virtuosité du résultat visuel façonne le personnage de Méphistophélès à la manière d’un clone de Faust, qui finira par prendre sa place, elle inscrit la narration au cœur même de la matière musicale. En guise de préliminaires aux premières notes, on découvre à l’avant-scène la tyrannie d’un petit garçon, affublé de la même capillarité que Faust adulte : il impose à sa mère, incarnée par Kerstin Schweers, de cesser de jouer au piano une mélodie que l’on reconnaît comme l’une du Dichterliebe de Schumann, Hör ich das Liedchen klingen, complainte dont les mesures reviennent après l’entracte et en fin de soirée, s’accomplissant alors avec les paroles, comme un épilogue qui garantit la symétrie de la conception, fût-ce en défiant les ressources émotionnelles du final.

Dans le rôle-titre, Eric Laporte ne manque pas d’éclat et fait résonner la clarté d’une intonation propre à rendre lisible les inflexions psychologiques. En Marguerite, Monika Walerowicz lui donne la réplique avec un sens certain du sentiment. Shavleg Armasi impose une présence indéniable en Méphistophélès, quitte à forcer parfois le trait, sans pour autant altérer la solidité des moyens. L’intervention du Brander de Daniel Eggert ne démérite aucunement [lire notre chronique de Trois sœurs]. Préparés par Lorenzo Da Rio, les effectifs choraux (Chor, Extrachor und Kinderchor der Staatsoper Hannover) remplissent honnêtement leur office.

Quant à la fosse, les pupitres du Niedersächsisches Staatsorchester Hannover s’attachent à restituer les couleurs de la partition, sous la direction assez inégale d’Ivan Repušić, plus à l’aise dans la routine technique que dans les potentialités de l’élégie – l’Invocation à la Nature porte l’empreinte symptomatique de cette faiblesse. L’expérience récente indiquerait qu’il doit y avoir des baguettes rétives à Berlioz.

GC