Chroniques

par isabelle stibbe

La donna del lago | La dame du lac
opéra de Gioachino Rossini

Opéra national de Paris / Palais Garnier
- 14 juin 2010
Lluís Pasqual met en scène La donna del lago de Rossini à Garnier
© agathe poupeney | opéra national de paris

Où est passée la verve rossinienne ?
Tout ce qui fait le charme de ce compositeur semble oublié dans cetteDonna del Lago, composée en 1819, trois ans après le Barbier etOtello. On est loin de l'effervescence du premier, de l'émotion du second. C'est pourtant l'un des rares opéras que Rossini ait choisi lui-même.

On comprend ce qui a pu le séduire dans le long poème épique de Walter Scott.
Une atmosphère romantique à souhait, conviant ses traditionnels lacs et montagnes, une Ecosse brumeuse qui annonce celle deLucia di Lamermoor de Donizetti (1835). Les situations à potentiel dramaturgique abondent : l'amour d'Elena pour Malcom est contrarié par son père, Douglas, qui la destine à Rodrigo. Le roi Giacomo V, déguisé en chasseur, tombe sous le charme d'Elena et révèle son identité à la fin de l'opéra. Un duel, la défaite des rebelles, l'arrestation de Douglas, la clémence du roi… Pourtant, le livret d'Andrea Leone Tottola ne rend pas justice à l'efficacité théâtrale et l'ouvrage tombe à plat.

La musique pourrait reléguer ces défauts au second plan, mais Rossini semble pris dans une évolution stylistique dont il n'a pas encore tout à fait trouvé les clefs. Cemelodramma en deux actes préfigure le romantisme de Guillaume Tell, mais l'invention mélodique et la structure harmonique évoquent bien davantage le classicisme, voire l'opera seria. Ici et là, bien sûr, se retrouvent les accélérations rythmiques propres au cygne de Pesaro, mais leur brièveté donne l'impression que l'équilibre de son style n'est pas encore atteint.

Si l'on s'ennuie ferme tout au long de ces trois heures, frustré par la musique comme par le livret, le bonheur est pourtant là, qui va se nicher dans le gosier des chanteurs. Comme toujours, les exigences vocales du compositeur sont difficiles à combler. Elles sont cependant parfaitement maîtrisées par deux grands professionnels passés maîtres dans l'art rossinien. Joyce DiDonato d'abord, parfaite dans Elena. Le mezzo américain a récemment interprété ce rôle au Grand Théâtre de Genève [lire notre chronique du 14 mai]. La voix, charnue et imposante, se joue aisément des difficultés des coloratures, et déploie une tessiture d'une remarquable homogénéité.

À ses côtés, Juan Diego Flórez (le Roi) se montre particulièrement touchant par l'investissement total, y compris physique, dont il fait preuve. Sa voix claire et vaillante correspond parfaitement au rôle du jeune amoureux. Ses facilités à vocaliser en font l'interprète idéal. Moins convaincants sont Simón Orfila (Douglas) dont la voix parfois instable accuse des intonations un peu basses, et Colin Lee dans le rôle redoutable de Rodrigo. Il souffre dès qu'il doit monter dans les aigus et, mal dosé, son souffle rend sa prestation inégale. Ce n'est pas du tout le cas deDaniela Barcellona, idéale interprète de Malcom grâce à des qualités vocales remarquables, au premier rang desquelles des messa di voce sublimes.

La mise en scène de Lluís Pasqual accuse les défauts de ceux qui, pour cacher leur manque d'idées et leur incapacité à remplir l'espace, font appel à des décors monumentaux. Vous vous rappelez cette façade pompeuse d'Andrea Chénier [lire notre chronique du 3 décembre 2009] ? On a presque son pendant ici, de même qu'un manque cruel de direction d'acteurs. Au statisme des choristes répondent des chorégraphies grotesques, indignes de l'Opéra national de Paris. Quelle pitié pour le théâtre !

Sous la baguette de Roberto Abbado, la direction musicale n'est pas tellement plus inspirée : le chef négocie assez bien les différents tempi mais ne dévoile aucune surprise. Heureusement qu'il y a les voix !

IS