Chroniques

par irma foletti

La Juive
opéra de Fromental Halévy

Grand Théâtre, Genève
- 17 septembre 2022
David Alden met en scène "La Juive" d'Halévy au Grand Théâtre de Genève
© magali doudalos | gtg

Après avoir confié à Peter Konwitschny la réalisation de La Juive lorsqu’il était à la tête de l’Opera Vlaanderen (Anvers et Gand) [lire notre chronique du 6 février 2017], Aviel Cahn invite l’œuvre de Fromental Halévy au Grand Théâtre de Genève dont il est directeur général depuis 2019. En coproduction avec le Teatro Real (Madrid), le nouveau spectacle est confié aux soins de David Alden [lire nos chroniques de Der Schatzgräber, Tannhäuser, Ercole amante, Deidamia, Les Huguenots et Semiramide]. Si, dans le décor de Gideon Davey qui agence des parois mobiles revêtues de bois clair et bien mises en valeur en clair-obscur par les somptueuses lumières de D.M. Wood, l’esthétique des premières images ravit l’œil, la présence de silhouettes paramilitaires en noir, qui menacent continuellement de leur matraque, lasse assez rapidement. En fond de plateau, l’orgue monumental est un bel élément de scénographie, mais la foule de masques façon commedia dell’arte peut évoquer parfois un traitement au second degré, pas vraiment nécessaire. La mise en scène se rattrape dans les scènes intimistes, comme le deuxième acte dans la vaste salle à manger chez Eléazar et Rachel – n’était les trois figurantes qui sautillent avec bouffonnerie à l’arrivée d’Eudoxie... – ou encore l’Acte IV avec la sombre prison qui densifie le drame des duos successifs entre Eudoxie et Rachel, puis Brogni et Eléazar.

Après avoir interprété Léopold à l’Opéra national de Paris en 2007, John Osborn signe une prouesse en première incarnation dans le rôle d’Eléazar. Sa diction est remarquable, élément très appréciable au sein d’une distribution vocale qui ne comporte pas d’interprètes francophones. Les moments de grâce sont nombreux, comme Dieu, que de ma voix tremblante (II), où le ténor nord-américain module à loisir les nuances, enflant quelques aigus avec facilité [lire nos chroniques d’Otello, Clari, I puritani, Les contes d’Hoffmann, Guillaume Tell à Genève puis à Londres, La sonnambula, Le prophète, Benvenuto Cellini, L’elisir d’amore, Norma, Die ersten Menschen et La fille du régiment]. Plus tard, dans le passage certainement le plus connu de l’opéra, Rachel, quand du Seigneur, il délivre une interprétation d’anthologie, pleine d’émotion, et conserve suffisamment de vaillance pour Dieu m’éclaire, fille chère, la cabalette qui suit.

Les bonheurs sont moindres chez l’autre ténor, Ioan Hotea, qui, dans un français moins idiomatique, tient plus que correctement le rôle de Léopold, faisant entendre quelques tensions dans l’aigu et le suraigu, le grave étant réduit, tout comme le volume. Le protagoniste tend à disparaître vocalement dans les ensembles ou derrière l’orchestre [lire nos chroniques de La scala di seta et d’Il barbiere di Siviglia]. Nous apprécions habituellement beaucoup la basse russe Dmitri Ulyanov [lire nos chroniques de The Saint of Bleecker street, Lady Macbeth de Mzensk et Le prince Igor], mais le Cardinal de Brogni n’est certainement pas son meilleur rôle ; là encore, la diction n’est pas toujours claire et, par ailleurs, la ligne vocale, ainsi que le creux le plus profond du registre grave, sont parfois mis en difficulté. Très belle prestation, en revanche, du baryton Leon Košavić, qui cumule les rôles de Ruggiero et d’Albert [lire nos chroniques de Don Giovanni, Le nozze di Figaro et Der Schmied von Gent].

Avant le début de la représentation est annoncée l’indisposition pour « début de refroidissement » des deux titulaires féminines, qui confirment toutefois leur participation. Distribuée en Rachel, Ruzan Mantashyan possède un timbre d’une extrême séduction et une musicalité jamais prise en défaut [lire nos chroniques du 13 juin 2014 et du 20 mars 2018]. Ses moyens paraissent intacts au cours des deux premiers actes, mais la puissance est moindre dans les trois suivants, même si elle délivre à pleine voix certains aigus magnifiques. En princesse Eudoxie, Elena Tsallagova démarre précautionneusement, émettant des premiers aigus un peu courts, mais l’instrument se met rapidement en place avec davantage de sérénité [lire nos chroniques de La petite renarde rusée, Die schweigsame Frau, Medea in Corinto, Siegfried, La Calisto, enfin de Pelléas et Mélisande à Paris et à Munich]. Le registre haut est alors atteint avec précision, bien que les passages d’agilité ne soient pas particulièrement marquants.

Défenseur acharné du grand opéra français, Marc Minkowski dirige pourtant sa première Juive, dans une version de trois heures, après certaines coupures. Techniquement bien au point, l’Orchestre de la Suisse Romande répond aux indications de nuances et de tempi du chef, donnant beaucoup de relief à l’exécution. Les beautés sont dévoilées, comme l’accompagnement aux deux cors anglais du grand air d’Eléazar. Préparé par Alan Woodbridge, le Chœurdu Grand Théâtre de Genève fait également un sans-faute.

IF