Chroniques

par bruno serrou

La métamorphose
opéra de Michaël Levinas

Opéra de Lille
- 7 mars 2011
© frédéric iovino

Pour son quatrième opéra, après La conférence des oiseaux en 1985 [lire notre chronique du 1er avril 2006], Go-gol en 1996 et Les nègres en 2004 [lire notre chronique du 24 janvier 2004], Michaël Levinas s’est tourné vers Franz Kafka et sa nouvelle La métamorphose. Précédée d’un prologue, Je, tu, il, ludique mais sans réelle quête, sur un livret de Valère Novarina qui joue ici sur les phonèmes et les syllabes l’énumération sur un rythme infernal des animaux de la création -, la musique de cette Métamorphose est sombre, sans concession à la lumière. Tant et si bien que cet opéra en un acte de soixante-dix minutes au sujet grave, adapté par Emmanuel Moses, Michaël Levinas et Benoît Meulic, avec cet homme soudain métamorphosé en hideux cancrelat, métamorphose qu’il découvre à son réveil, et que sa famille qu’il aime profondément et pour laquelle il a tout sacrifié abandonne et laisse mourir avec dégout.

Les huit chanteurs (contre-ténor, soprano, trois barytons, deux mezzo-sopranos, basse) et l’ensemble de quatorze instrumentistes (violon, alto, violoncelle, deux contrebasses, flûte, cor, trompette, trombone, claviers Midi/piano, guitare électrique, deux percussionnistes, harpe) sont enrichis d’une partie électronique foisonnante et particulièrement raffinée réalisée à l’Ircam par Benoît Meudic en collaboration avec Carlo Laurenzi. Il est regrettable que la partition abuse du glissando descendant, au point de distiller en son centre un prégnant désœuvrement chez l’auditeur, après une première partie qui ménage d’heureuses surprises et avant un dernier quart d’heure particulièrement intense.

La mise en scène de Stanislas Nordey est simple et efficace, la direction d’acteur enlevée et la scénographie recèle de belles images, tel ce grand voile de tulle enserrant la « bête immonde » dans sa chambre. Dommage que la scène finale soit conclue sur une image désormais éculée de scène vide laissant à nu le fond de plateau dont les dégagements sont utilisés par les protagonistes pour s’en extraire et laisser seul le personnage central agonisant. Divisé en cinq madrigaux séparés par deux ritournelles, une psalmodie, deux chants d’amour, un chant de mort, une musique « du mille-pattes », un préambule et conclu sur un postlude, ce grand nocturne découle de la même préoccupation de Levinas dans son premier opéra, La Conférence des Oiseaux, la dimension animale du monde instrumental. Quant à la voix, celle du personnage central victime de la métamorphose, le représentant de commerce Gregor Samsa, elle se veut ni totalement humaine ni parfaitement animale, grâce à l’appoint de l’électronique sur la voix de sopraniste, « un accord par note, chaque accord étant arpégé, et chaque note de l’arpège sculptée selon sa courbe propre. Ombres et retards, vie intérieure de la voix comme polyphonie » (Levinas). Outre Stanislas Nordey qui avait déjà signé la mise en scène des Nègres à sa création lyonnaise, après de plus contestables Saint François d’Assise de Messiaen à l’Opéra de Paris et Le Balcon d’Eötvös à Aix-en-Provence, Levinas a fait appel pour le rôle central de son nouvel opéra à un autre de ses fidèles interprètes, le contre-ténor Fabrice di Falco qui participait à la création évoquée plus haut ainsi qu’à La conférence des oiseaux. Il est ici entouré d’une équipe de chanteurs belcantistes, de ce fait moins aguerris que Di Falco à la musique contemporaine, avec une excellente Magali Léger, Sœur de Grégor, André Heyboer dans le rôle du Père, Anne Mason dans celui de la Mère, Simon Bailey en Fondé de pouvoir et Locataire et Julie Pasturaud en Femme de peine.

Dirigé avec habileté et précision par Georges-Elie Octors, l’ensemble bruxellois Ictus, en résidence à l’Opéra de Lille depuis 2004, est remarquable, bruissant, grondant, respirant comme un personnage à part entière, tel un mille-pattes, enrichi d’un impressionnant matériau informatique en temps réel qui démultiplie aussi les voix, particulièrement celle de Gregor, associée à des claviers électroniques, des effets doppler et des chutes de percussion, tandis que la voix de la Sœur est prise dans un tourbillon, tournant sur elle-même à la façon d’un astre.

BS