Chroniques

par hervé könig

La porta della legge | La porte de la loi, opéra de Salvatore Sciarrino
Die sieben Todsünden | Les sept péchés capitaux, ballet chanté de Kurt Weill

Staatstheater, Brunswick
- 4 mars 2018
une soirée d'opéra Kurt Weill et Salvatore Sciarrino à Brunswick... bof bof !
© thomas m.jauk

Il y a quelques mois, nous découvrions la saison fort audacieuse du Staatstheater de Brunswick, avec les représentations de Rivale, opéra de chambre de Lucia Ronchetti et de d’Europeras 1&2 de John Cage [lire nos chroniques des 6 et 8 décembre 2017]. En ce dimanche nous retrouvons la fervente flamme moderniste du lieu avec un couplage intéressant autour de la morale, de la loi et du destin.

La metteure en scène Aniara Amos a souhaité rassembler deux pages rares conçues dans des époques complètement différentes. Avant d’aborder sa vision des Sept péchés capitaux, la dernière collaboration de Bertold Brecht et Kurt Weill (1933), nous voyons La porte de la loi (La porta della legge) de Salvatore Sciarrino. Créée à Wuppertal en 2009, cette pièce sous-titrée « monologue en boucle » s’inspire de Devant la loi (Vor dem Gesetz), la parabole de Franz Kafka dans son roman Le procès (Der Proceß). Contrairement à l’ouvrage de Cage précité, celui de Sciarrino n’est en rien ouvert dans l’acception du terme par les compositeurs des années soixante, mais rigoureusement composé. De ce point de vue, on pourra considérer cette démarche comme moins osée que celle de décembre. On retrouve l’esthétique particulière au créateur sicilien, faite de petits riens qui disent presque tout, au fil d’une respiration délicate, omniprésente dans l’écriture instrumentale. La nuance se confine dans des demi-contrastes qui font tendre l’oreille, tirant l’auditeur vers le plateau avec une autorité à laquelle il ne parvient à s’échapper que s’il en refuse catégoriquement le principe. Le texte paraît ne pas se poser sur ces sons. Il va son chemin, haletant, mais dépassionné. C’est que tout est sur le point de se terminer, l’homme qu’on l’on voit là ne cherche plus rien, avec la mort il a tout trouvé. La répétition litanique du système question-réponse peut maintenant finir, il n’y a plus d’obstacle.

Le baryton Maximilian Krummen prête sa sensibilité à l’incarnation, avec un timbre qui captive sans renoncer à une extrême sobriété de l’expression. La distance avec laquelle il conclut les derniers pas de cet homme qui enfin peut comprendre en mourant le sens de sa vie se fond fidèlement dans l’appropriation par Sciarrino de la parabole kafkaïenne. Depuis la fosse d’orchestre, le contre-ténor Iván López Reynoso lui donne la réplique, avec une clarté d’émission qui rend l’issue plus évidente encore. À cela répond le choix scénique d’Aniara Amos qui signe également un décor assemblant plusieurs plans inclinés dans une vision abstraite. On comprend mal, dès lors, pourquoi elle recourt à la présence d’une femme qui vient détourner du sujet, voire lui apporte une touche petite-bourgeoise hors de propos. Thomas Zipf livre une vidéo vaguement délirante à la manière de Buñuel et Dalí dont on aurait pu faire l’impasse avec avantage.

À la tête des instrumentistes du Staatsorchester Braunschweig en petite formation, Alexis Agrafiotis mène une lecture soigneuse de La porta della legge. Après l’entracte, il cède la place à son collègue Iván López Reynoso, apprécié en tant que chanteur dans la première partie mais également chef d’orchestre. C’est lui qui joue le célèbre ballet chanté de Kurt Weill, célèbre bien qu’il ne soit pas si souvent donné. L’association des deux œuvres a quelque chose de choquant, car après le mezza di voce de Sciarrino, les danses et chansons du Berlinois affichent une incongruité qu’elles n’ont pas d’ordinaire. Cette fois, les costumes de Sarah J. Rolke prennent appui sur la peinture qu’on pouvait voir dans les ateliers parisiens de l’entre-deux-guerres. La robe-guitare d’Anna rappelle Georges Braque et Juan Gris, mais aussi Man Ray. Cette esthétique à la fois cubiste et Dada prend sur elle la dimension critique de l’œuvre, avec les parents représentés en squelettes d’une génération qui ne voudrait pas mourir, ne laisserait jamais sa place, peut-être même d’une société à l’immoralité rétrograde. Plutôt que de montrer les jumelles Anna 1 et Anna 2 (Carolin Löffler et Nana Dzidziguri) comme il est prescrit, la mise en scène impose une posture forcée afin de justifier à tout prix, par la thématique, les pages de Weill et de Sciarrino – ça ne marche pas du tout. L’on en sort assez déçu…

HK