Chroniques

par bertrand bolognesi

La rondine | L’hirondelle
opéra de Giacomo Puccini

Théâtre du Capitole, Toulouse
- 4 mars 2005
La rondine, opéra de Giacomo Puccini
© patrice nin

Crée à Monte Carlo au printemps 1917, La rondine ne connut pas le succès des précédents ouvrages de Puccini. On comprendra aisément la surprise du public devant un opéra dont n'était que relative la parenté avec Manon Lescaut ou La Bohème, qui ne convoquait rien de comparable à Tosca ou Butterfly, et, surtout, où le sang n'était pas versé (n'oublions pas que le point de départ de Gianni Schicchi demeure tout de même la mort). Cette comédie lyrique est la réponse du musicien à une commande viennoise d'opérette dont il détourna les contingences stylistiques. La guerre mondiale devait en empêcher la création dans la capitale austro-hongroise.

On y rencontre des motifs familiers – d'opéras de Puccini, mais aussi du grand répertoire –, avec les différences que cela implique : la vie parisienne deLa Bohème se retrouve dans l'acte chez Bullier, mais c'est une société mondaine qui s'y encanaille plutôt qu'une horde populaire à s'y amuser ; la courtisanerie de Traviata est également au rendez-vous, mais ici aucune mort vient immortaliser l'amour ; Magda est victime du cynisme de Rambaldo comme Lisette l'est des illusions de Prunier, mais renonce à l'amour et au rêve pour la sécurité de la protection d'un homme puissant qu'elle n'aime pas ; etc. La présence de deux ténors dans des rôles de jeunes amoureux dérouta sans doute. Pourtant, le compositeur écrivit La rondine avec toute la maîtrise acquise de son art, livrant une partition d'orchestre chatoyante, flattant ce qu'il pense être le goût viennois, s'aventurant vers des méandres harmoniques qui, sept ans plus tard, trouveront à s'exprimer dans Turandot, et d’étonnantes subtilités rythmiques (notamment le chœur s'accélérant au début de l'Acte II, ou encore la scène de divination du I).

Il y a une dizaine d'années, Nicolas Joel réalisait pour la Scala une mise en scène de La rondine illustrant fidèlement les exigences précisées par le livret. Cette fois, pour cette coproduction du Capitole et de Covent Garden, il décide de situer l'action dans un ParisArt Nouveau contemporain de Puccini et de la création de l'œuvre. Le résultat est une incontestable réussite qui rend toute sa cohérence à l'histoire et sensibilise le public aux états d'âme de Puccini, non pas l'artiste public mais l'homme privé, dont certains aspects sourdent du personnage ambigu de Prunier. Les opulents décors d’Ezio Frigerio offrent à Magda un salon Jugenstill où le mobilier Louis XVI rappelle élégamment que nous sommes à Paris et non à Vienne, inventent un Café Bullier plus vrai que vrai, et cristallisent une Côte d'Azur de rêve par une terrasse à la verrière somptueuse et aux charmantes colonnes de céramiques polychromes. Dans ce luxe, les personnages évolueront tout naturellement.

Unique réserve pour la première toulousaine [autre représentation les 6, 8, 11 et 13 mars] : à la tête d'un Orchestre National du Capitole en pleine forme, Marco Armiliato impose une lecture souvent lourde, affirmant un lyrisme pompier assez antagoniste avec le propos général. Par ailleurs, elle est avantageusement servie par une distribution saine et attachante où l'on remarque la construction d'un vrai personnage, au delà des apparences, par Elsa Maurus (Suzy, parmi les demi-mondaines du premier acte), le Crébillon de Thierry Félix et l'implacable Rambaldo d'Alberto Rinaldi.

C'est surtout le quatuor principal qui paraît idéal, avec Annamaria dell'Oste qui campe une pétillante Lisette à la vélocité vocale infaillible, le timbre souple et clair du Prunier de Marius Brenciu qui présente ici un travail tout en finesse, la belle ligne de chant de Giuseppe Gipali au service d'un Ruggero naturel à l'aigu facile dont l'homogénéité de la voix laisse pantois – un artiste qui donnait une prestation remarquable dans L'Arlesiana de Cilea il y a quelques semaines (Montpellier) et que l'on retrouvera avec plaisir dans Tosca à Marseille en avril – et, bien sûr l'excellence prodigieuse d'Inva Mula en Magda, dotée d'un art exceptionnel de la nuance, réalisant certaines attaques tout en douceur (« Fanciulla, è sbocciato l'amore », par exemple), avec une présence dramatique d'une grande classe.

BB