Chroniques

par irma foletti

La traviata | La dévoyée
opéra de Giuseppe Verdi

Opéra Grand Avignon / Opéra Confluence
- 8 juin 2018
Samuel Jean joue La traviata (1853), l'opéra de Verdi d'après Dumas fils
© cédric delestrade | acm-studio

L’Opéra Grand Avignon conclut sa saison lyrique en invitant la production de l’Opéra Royal de Wallonie, créée en 2009 et reprise pour la dernière fois en mai 2016. Le metteur en scène Stefano Mazzonis di Pralafera ne s’est pas rendu à Avignon pour l’occasion, occupé qu’il est ces jours-ci à préparer son nouveau Macbet dans l’institution belge dont il est également directeur. La réalisation a été confiée à Gianni Santucci [lire notre chronique du 23 mars 2017] qui, sur le plateau de la salle provisoire Confluence, dispose d’un espace plus vaste que celui de la scène liégeoise. Conçus par Edoardo Sanchi, les décors tournent autour de deux concepts principaux : un lit et des rangs de fauteuils de théâtre. Au premier acte, lors de la fête donnée par Violetta, un lit géant sort de la cloison aux motifs de fleurs rouges (on imagine des camélias) sur lequel des femmes aux seins nus se trémoussent lascivement devant des hommes qui ne restent pas insensibles à leurs charmes. Les dimensions du lit diminuent à l’Acte II, lorsqu’Alfredo y boit son café, allongé, et Violetta finit ses dernières heures dans un petit lit d’enfant, au III. On y retrouve la poupée à qui l’héroïne avait chanté son grand air du I, la prenant par la main, l’asseyant sur ses genoux puis la jetant à terre sur « Follie, follie ! », comme pour signifier que cette vie rêvée avec Alfredo n’est qu’un conte à oublier.

Quant aux rangs de fauteuils placés sur le côté droit à l’arrière, ils accueillent tous les convives qui assistent, comme des spectateurs, aux questionnements et tourments de Violetta Valéry, ou encore c’est là que Germont vient s’asseoir pour être témoin de la scène entre les deux amoureux avant de parler à son fils. Des feuilles mortes tombent sur les fauteuils recouverts au II, puis c’est la neige au III – une symbolique moins osée, par exemple, que la pluie de dollars qui tombait des cintres dans la production de Robert Carsen. Si la première scène laisse espérer pour la suite, avec une assemblée d’invités maquillés et coiffés de perruques qui tirent plutôt vers Le bal des vampires (Roman Polanski, The fearless vampire killers, 1967), un certain statisme plombe rapidement le spectacle, figeant le plus souvent choristes et solistes. Par ailleurs, le choix de faire lire la lettre du troisième acte par Germont (au micro, en coulisses), son auteur, à la place de Violetta, est contestable.

La distribution vocale n’est pas spécialement relevée, mais propose tout de même un soprano de valeur dans le rôle-titre. Déjà titulaire de Violetta à Liège il y a deux ans, Maria Teresa Leva possède en effet de grands atouts : une musicalité sûre, un volume impressionnant et des extensions assurées vers l’aigu – elle émet, en particulier, le contre-mi traditionnel concluant le premier acte, avec aisance mais aussi agressivité. L’interprétation et l’adéquation au personnage restent sans doute à améliorer, la chanteuse présentant un jeu tout d’une pièce dans ses moments d’emportement, qui évoque plus Carmen que Violetta. Ses moments doux sont émouvants, comme les séquences Ah, fors’è lui ou Dite alla giovine, tandis que les rares passages d’agilité posent clairement problème, comme Sempre libera.

Le contraste est criant et cruel avec le ténor Davide Giusti (Alfredo), au volume manquant d’épaisseur et au timbre souvent décoloré, sans grande séduction [lire nos chroniques du 5 février 2015 et du 11 mars 2018]. Son format vocal modeste passe dans un rôle moins exposé, tel Rinuccio dans Gianni Schicchi vu à Montpellier en juin dernier, mais pose clairement problème pour un protagoniste de premier plan, s’effaçant dans les duos et disparaissant le plus souvent dans les ensembles. Son meilleur moment est le grand air du début du II, seul en scène, et il termine sa cabalette d’un contre-ut sur un « aaaaaah » à la place du mot laveró.

L’entrée en scène du baryton Ernesto Petti (Germont) est saisissante. Le jeune chanteur est vieilli, maquillé pour former des rides ; il porte une longue perruque blanche, de sorte que l’on croit voir le regretté Dmitri Hvorostovski, très grand titulaire du rôle. La voix est saine, plus facile dans le registre aigu que dans la partie grave. Son Di Provenza il mar est conduit avec goût et soin, mais il force sur le final et laisse quelques plumes pour la cabalette qui suit.

Aux côtés de comprimari de niveau faible à moyen, le Chœur, préparé par Aurore Marchand, se montre satisfaisant, bien chantant et correctement coordonné. Au pupitre d’un Orchestre Régional Avignon-Provence concentré, Samuel Jean dirige de manière franche et sérieuse, sans débauche de variations dans les contrastes ou les couleurs, privilégiant l’avancée du drame. On relève à la conclusion une bizarrerie : l’absence des coups de cymbales qui d’ordinaire accompagnent les tout derniers mots de la pièce. Nous ne l’avions pas remarqué jusqu’à ce final, mais là, ils manquent à nos oreilles. Bizarre, bizarre…

IF