Chroniques

par david verdier

La traviata | La devoyée
opéra de Giuseppe Verdi

Grand Théâtre, Genève
- 2 février 2013
Yunus Durukan photographie La Traviata (Verdi) de McVicar à Genève
© yunus durukan

Cinq ans après sa création au Scottish Opera, c'est une très conventionnelle Traviata version McVicar qui débarque sur la scène du Grand Théâtre de Genève. Rien de révolutionnaire dans l'approche. On navigue en plein univers réaliste, à la croisée de Zola et Visconti, avec des subtilités d'éclairage entre gris mats et couleurs ambrées. Un pan de rideau qu'on soulève suffit à révéler la scène se déroulant là derrière, de lourds rideaux qui contrastent avec d'inamovibles perspectives de biais, en forme de panneaux translucides et portes de salon bourgeois. L'accentuation de la pente de scène réduit excessivement l'espace scénique à la dimension d'une aquarelle romantique, quelque part entre Gavarni et Constantin Guys. Dans ce désuet décor de keepsake, l'adaptation en livret du roman d'Alexandre Dumas fils par Francesco Maria Piave se borne à une sage dimension littéraire et littérale.

Le premier acte se déroule au milieu des caisses de champagne et des rires sonores des grisettes. Les chœurs se pressent d'une manière assez peu commode, les déplacements y sont très statiques – comme s'il s'agissait de mieux souligner l'atavisme théâtral du drame de Dumas. Seule une discrète bande de feuilles mortes répandues sur le proscénium suffit à ajouter la note sinistre qui parcourt l'œuvre d'un bout à l'autre. La scène des bohémiennes s'encombre de tambourins trop bruyants et d'un travesti bien inutile. De toute évidence, cette Espagne de carton pâte ne fait pas sens et peine à créer une relation avec le reste de l'ouvrage. La mise en scène de McVicar souligne à l'envi l'esprit salonard des airs de bravoure qui s'accommode des crinolines et des conversations de fumoir.

À ce petit jeu, la voix de Maria Alejandres se fond parfaitement dans le profil psychologique de la demi-mondaine. L'engagement impressionne au premier abord ; on découvre vite que l'abattage sert systématiquement de legato et que le peu d'épaisseur des graves cède la place à un flux consonantique pas grasseyant pour trois sous. Sa vitalité très « peuple » ne s'embarrasse pas des habituelles touches mélancoliques dont on encombre traditionnellement Violetta. Il n'y a pas d'arrière-plans intellectuels dans cette voix épidermiquement belle et souveraine. Les aigus percutants sur le « Gioir » de Sempre libera sont littéralement décochés avec un léger mouvement d'épaule qui trahit l'effort pour se hisser jusqu'au contre-ut. En revanche, l'affrontement avec Germont père laisse le personnage sur le bord de la route qui mène à l'émotion, assez peu compatible avec la dimension lyrique qu'il faut déployer là. La maladresse du parlando fait affleurer certaines syllabes exotiques qui disparaissent avec l'outrage d'Alfredo et les sublimes interventions du dernier acte. Passant de l'Olympia de Manet à une agonie façon Egon Schiele, on savoure avec plaisir la sublime lumière noire de son Addio dell passato, même si l'erreur de Baldo Podic à trop vouloir retarder le troisième temps lui donne une tension et un vertige involontaires.

L'Alfredo de Daniel Johansson ne pèse pas très lourd face à ce brasier ardent. Physiquement pataud et embarrassé par l'étroitesse du frac, il pèse ses notes sans vraiment déplier la voix, ce qui précipite le personnage au delà du rôle ingrat que lui confère le livret. Ce n'est que sous un angle en fausse perspective qu'on peut dire de lui qu'il est un rôle principal mais, à bien y regarder, le véritable couple se forme à l'Acte II avec Germont père. Mauvaise soirée pour les voix masculines, Simone del Savio ne parvient pas à incarner le paternalisme ambigu de Giorgio Germont, pris entre le piège de la séduction et de l'autorité morale. Très proche par l'âge de Violetta, il bougonne en essayant de jouer les oiseaux de mauvais augure, mais la rondeur de la voix ne remplace pas l'absence de couleurs.

Les seconds rôles sont diversement distribués. On y remarque la parfaite Anninna d'Elisa Cenni et le timbre fort noble de Daniel Djambazian en docteur Grenvil. La Flora de Marie-Thérèse Keller a des moments de nervosité qui perturbent l'émission, mais elle demeure scéniquement très crédible. Le chœur doit son manque de précision dans les attaques et ses nombreux décalages à la direction erratique de Baldo Podic, heureusement soutenu par un Orchestre de la Suisse Romande de haut niveau mais qui méritait mieux.

DV