Chroniques

par laurent bergnach

Le cas Jekyll
opéra de François Paris

Théâtre 71, Malakoff
- 6 février 2019
le cas Jeckyll, un opéra pour baryton et quatuor à cordes signé François Paris
© dr

Que sa femme, le jugeant d’une stupidité absolue, ait ou non brûlé la première version de son court roman sans doute inspiré par la double vie de l’homme d’affaires William Brodie (1741-1788), Robert Louis Stevenson fait paraître The strange case of Dr Jekyll and Mr Hyde (1886), quelques années après Treasure Island (L’île au trésor, 1883). L’écrivain confirme ainsi sa place d’habile théoricien du récit, avec une histoire qui diversifie les points de vue (un fait divers rapporté par Enfield à son cousin Utterson, une transformation de Jekyll décrite dans une lettre posthume de Lanyon, etc.) et peut se lire comme un conte horrifique, une satire de la société victorienne ou une illustration fameuse du dédoublement de personnalité. Si Freud enviait la connaissance intuitive d’Arthur Schnitzler de ce que lui-même avait acquis « par un pénible travail d’investigation » (8 mai 1906), n’aurait-il pas admiré tout autant l’art de l’Écossais d’illustrer la fameuse trilogie Moi (Jekyll), Ça (Hyde) et Surmoi (Utterson) ?

Une pièce de Christine Montalbetti, Le cas Jeckyll (P.O.L., 2010), est née du souhait du comédien Denis Podalydès d’incarner les deux énergies du roman à l’aide d’un unique monologue, soit la confession du rôle-titre, scientifique vieillissant prêt à étancher sa soif à toutes les sources offertes par la souffrance d’autrui. L’écrivaine s’y est attelé sans le souci de devoir faire circuler la parole entre des personnages, même si « toutes sortes de voix devaient se tramer, coexister, se chamailler, dans une polyphonie constitutive et dynamique ».

À son tour, François Paris (né en 1961) émit un désir : celui de travailler sur une œuvre courte et aux effectifs réduits, après la gestation longue de Maria Republica (2016). Il s’est laissé convaincre que la pièce ferait un bon opéra et que Montalbetti serait la librettiste idéale pour un ouvrage d’une heure. Depuis la création au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, le 9 novembre dernier, cette commande de l’Arcal est en tournée, avec quatuor à cordes et baryton.

Côté jardin, les membres du Quartetto Maurice sont réunis – Georgia Privitera, Laura Bertolino (violons), Francesco Vernero (alto) et Aline Privitera (violoncelle). Une longue plainte triste ouvre le prologue, dans un dépouillement qui permet au narrateur de se présenter au public. Les phrases postromantiques disent la jeunesse du savant, quand des pizz’ à suspense racontent les premiers errements sur les docks. Crissements et grincements accompagnent les transformations, volontaires ou non, sous une lune fielleuse saturée de glissandos. Une musique hésitante, nerveuse ou fragmentaire dessine tour à tour le dilemme, le meurtre ou la claustration. Jean-Christophe Jacques incarne Jeckyll d’un baryton chaud et sensuel, qui favorise un parlando mâtiné de notes graves charnues et d’autres en voix de tête, comme dans l’épisode cruel du « paillasson vivant ».

Malheureusement, la mise en scène de Jacques Osinski [lire notre chronique d’Iolanta] et le dispositif d’Yann Chapotel [lire notre chronique de Donnerstag aus Licht] obligent le chanteur à de nombreuses interventions de profil, pour faire face aux caméras alentour : si l’on gagne à ce procédé les gros plans d’un visage déformé par divers filtres parfois troublants, projeté en fond de scène, les mots se perdent souvent en coulisse, quant à eux. C’est dommage, car le compositeur [lire nos chroniques d’À propos de Nice et Les arpenteurs] s’efforçait d’équilibrer les forces instrumentales pour laisser entendre un texte qui, par ailleurs, ne force pas l’admiration.

LB