Chroniques

par françois cavaillès

Le domino noir
opéra-comique de Daniel-François-Esprit Auber

Opéra royal de Wallonie, Liège
- 23 février 2018
Le domino noir, opéra-comique d’Auber, exhumé par l'Opéra royal de Wallonie
© lorraine wauters | opéra royal de wallonie

Servie tout de suite brûlante par l'orchestre maison fidèle et habile à l'œuvre d'Auber [lire notre chronique du 14 avril 2016], la brève Ouverture recèle, autant saccadée que douce, un charme désuet dans ses amorces et même, au fur et à mesure, souffle dans des voiles orientales, peut-être hispanisantes, l'esprit fort d'un héroïsme de pacotille. Oui, ce navire nommé Le domino noir transporte une cargaison légère, un humour déjà fermement affirmé avant que le rideau se lève. Lancé dans les eaux de l'Opéra Comique depuis sa création en 1837, le vaisseau des compères Scribe (le librettiste incontournable de l'époque) et Auber s'envolerait même, par ses airs plutôt courts mais de facture très lyrique, pour des cieux élargis jusqu'au grand opéra dans le sillage de La muette de Portici (1828). Ce vaste horizon nous apparaît clairement, même en restant agrippé à la rambarde le temps d'une soirée sans faste ni démesure, mais très amusante.

En effet, la nouvelle production du Domino noir donnée à Liège cet hiver (reprise ensuite à Paris) porte, dans la mise en scène signée Valérie Lesort et Christian Hecq, la griffe de l’actuelle Salle Favart, coproductrice avec l'Opéra royal de Wallonie, c'est-à-dire le goût de revisiter le XIXe siècle parisien sur un ton gai et joyeux de fantaisie moderne. En inscrivant l'œuvre dans le genre vaudeville, en en cultivant surtout le burlesque, le résultat est à ravir. Succès populaire sur toute la ligne, il remporte, par un plaisir instantané, l'adhésion du public admiratif des compositions d'Auber. Des costumes drôlement seyants de Vanessa Sannino aux décors classiques et élégants, mais aussi en forme de terrain de jeux, de Laurent Peduzzi, en passant par les chorégraphies en clin d’œil de Glyslein Lefever et surtout le subtil recours à des acrobates loufoques et à des marionnettes irrésistibles à en glousser de rire à chaque apparition, le spectacle constitue une réussite fort recommandable de cette saison.

Les personnages truculents, les quiproquos et les griseries prennent le pas sur l'atmosphère de magie noire et de passion pourtant propre au Domino noir, qui fut un véritable triomphe en son siècle, peut-être aussi pour son caractère romanesque ici un peu diminué. De fait, rien ne manque au récit mené tambour battant, sauf la sensibilité accrue sur certains gestes dramatiques, par exemple l'avancée des aiguilles de l'horloge du petit salon mondain (au premier acte), bouleversement temporel agissant sur le cours de deux vies comme un terrible fauteuil à bascule.

À la direction musicale, Patrick Davin conduit savamment son esquif, conjuguant rythme comique et cadence langoureuse au bal masqué de l’Acte I, scandant la tension souveraine aux coups de minuit, exultant du crescendo au tutti de conclusion du II et régalant tout au long du III. Le savoir-faire est dans la fosse comme sur scène, tant l'ensemble de la distribution se montre bon comédien, à l'instar du ténor François Rougier (Juliano), de Sylvia Bergé (Ursule) et de Laurent Montel (Lord Elford, à la limite du cabotinage). Mais surtout, dans le rôle-titre, le soprano Anne-Catherine Gillet relève tous les défis d'un personnage à triple évolution pour finalement réussir une performance rare, à la fois héroïque et crédible. Pour incarner l'amie Brigitte, le mezzo Antoinette Dennefeld se montre encore très impressionnante, de par son chant séduisant et comme ailé, tandis que, dans un numéro bouffe de haute volée, triomphe en toute exubérance, mais aussi avec finesse, Marie Lenormand – également mezzo, ici en tant que Jacinthe, la gouvernante de Juliano.

Tout en verve, lui aussi, le ténor Cyrille Dubois (Horace) incarne un jeune amant nerveux et fervent d'une voix aussi impeccable (de diction et de clarté) qu'émouvante en son lyrisme particulier. Plus expansif en Gil Perez, portier du couvent des Annonciades, le baryton-basse Laurent Kubla signe d'un timbre chaud et agréable un air entonné dans des conditions ahurissantes : cuisinier à l'apparence de zombie, il joue avec un imprévisible cochon. Enfin, à nouveau bien préparé par Pierre Iodice, le Chœur de l'Opéra royal de Wallonie tire son épingle d'un jeu très exigeant avec surtout le juste sens comique général, si propice à ne laisser personne indifférent.

FC