Chroniques

par christian colombeau

Le roi d‘Ys
opéra d’Édouard Lalo

Opéra de Marseille
- 10 mai 2014
reprise du Roi d‘Ys d’Édouard Lalo à l'Opéra de Marseille
© christian dresse

Un chef-d’œuvre, ce Roi d’Ys ?... Il est vrai que le bel Édouard ambitionnait la construction d’un drame lyrique d’une coupe toute wagnérienne. Découragé d’atteindre son but, il se rabattit sur une composition plus classique : « j’avais la velléité d’en faire un drame lyrique… et j’ai écrit un simple opéra… ». Après un foudroyant succès à la création, l’ouvrage fit ensuite des apparitions plus sporadiques. Sans faire le rabat-joie, on peut le comprendre : l’œuvre est inégale, l’inspiration touche parfois au magnifique, mais l’orchestration n’est pas exempte de facilités, avec des excès de « couleurs locales » au premier acte. Grandiose, avec l’exposition des principales mélodies de l’opéra, l’Ouverture rejoint une montée des eaux fascinante à tous points de vue.

Pour le livret, Lalo fit appel au poète Édouard Blau qui adaptera librement, habilement, la légende bretonne de la ville d’Ys… mais en vers de mirliton. L’intrigue est connue : le roi d'Ys veut marier sa fille Margared au prince Karnak. La promise s’est cependant secrètement entichée du prince Mylio, son ami d'enfance, parti à l'aventure sur les mers. Il revient le jour des noces. Enfer et damnation ! Margared refuse de s'unir à Karnak, provoquant sa colère, même si elle sait que le prince et sa sœur Rozenn en pincent l’un pour l’autre. Karnak veut se venger. Son armée est battue à plate couture par les troupes de Mylio. Mais Margared, sorte d’Ortrud bretonne, lui donne la clé des écluses qui lui permettront d'inonder la ville d'Ys. Effrayée par son propre crime, elle se jette dans les flots, telle l'héroïne du Vaisseau fantôme. Et là, accrochez-vous : apparaît Saint Corentin qui fait reculer les eaux et sauve la ville – Hallelujah !

Toute production plausible de cet opéra ressemble à un exercice de haute voltige pour metteur en scène masochiste. Jean-Louis Pichon la réussit spectaculairement, dans une atmosphère de fin de monde. Malgré ces cinq ans d’âge (il fut d’abord monté à Saint-Étienne et à Liège), ce spectacle – décors froids, minéraux, anthracites, humides d’Alexandre Heyraud et costumes rigolos de Frédéric Pineau – tient bien la route et lorgne de jolie manière vers la bande-dessinée futuriste aux tableaux d’une éclatante force dramatique [lire notre critique du DVD].

Pour défendre les honneurs de la ville engloutie, il faut un metteur en scène inspiré (on l’a trouvé), mais aussi un chef et un orchestre dans leurs meilleurs jours. Enflammé, passionné, adhérant totalement à la direction flamboyante de Lawrence Forster, l’Orchestre de l’Opéra de Marseille s’embarque sans canot de sauvetage sur ce blockbuster lyrique et aquatique. Ce qui sort de la fosse est simplement magnifique. L’Ouverture est d’une force saisissante, le solo de violoncelle sirupeux sans excès, les cuivres surnaturels, comme annonciateurs de l’apocalypse finale. Claire, puissante, dynamique et colorée, cette lecture révèle la partition sous son vrai jour : un petit joyau du XIXe siècle.

Impossible d’adresser un reproche sérieux au plateau réuni. Dans le rôle-titre, Nicolas Courjal se montre non pas royal mais impérial de ton et de son, d’une présence, d’une autorité vocale à nulle autre pareille. Le rôle est relativement court, ingrat, et l’interprète en fait un premier plan – chapeau bas. Hyper lyrique et communicative, Inva Mula sort habilement de l’ornière un personnage « cul-cul la praline » d’amoureuse torturée entre cœur et raison ; elle dessine une Rozenn toute de sucre et de miel, à la superbe plastique vocale. Cœur et voix en bandoulière, flamberge au vent, Florian Laconi tire son Mylio vers l’héroïc fantasy et se paie le luxe d’un contre-ut fracassant (sauf erreur de notre part, non écrit) : au rideau, une ovation à l’aune de son talent, immense.

Le couple maudit Karnac-Margared ressemble à s’y méprendre aux Telramund, époux maléfiques de Lohengrin. Coup de génie, le vétéran Philippe Rouillon, d’une insolence rare, et Béatrice Uria-Monzon, qui dompte au mieux son impétueux falcon pour trouver des accents bouleversants au plongeon rédempteur, nous renvoient à l’âge d’or des Blanc et Gorr. Avec un Chœur visionnaire et des seconds rôles en béton armé, tels Patrick Delcour et Marc Scoffoni, tout va pour le mieux.

CC