Chroniques

par isabelle stibbe

Les contes d’Hoffmann
opéra de Jacques Offenbach

Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 7 mai 2010
Les contes d’Hoffmann (Offenbach) mis en scène par Carsen à l'Opéra Bastille
© frédérique toulet | opera national de paris

Dix ans déjà ! Dix ans que cette mise en scène de Robert Carsen fut créée à l’Opéra de Paris. On ne se plaindra pas qu’elle soit remise à l’affiche : c’est toujours un plaisir de retrouver le dernier opéra d’Offenbach, le plus profond, le plus mozartien de sa production lyrique. On sait que Les contes d’Hoffmann, laissé inachevé à la mort du compositeur en 1880, a donné lieu à plusieurs versions. Cette production choisit celle en trois actes, avec prologue et épilogue.

En 2000 étaient réunis des noms aussi prestigieux que Natalie Dessay, Angelika Kirchschlager, Nora Gubisch et Samuel Ramey. Sur le papier, la distribution de cette reprise ne manque pas non plus d’intérêt : Inva Mula chante Antonia, Béatrice Uria-Monzon Giulietta, Laura Aikin Olympia, Franck Ferrari Lindorf. Pourtant, l’épreuve de la scène donne l’avantage à la première version, révélant toute la différence entre de très bons interprètes et des chanteurs extraordinaires.

Le cas type est celui d’Olympia. Laura Aikin ne démérite ni vocalement dans l’air célèbre Les oiseaux dans la charmille, ni scéniquement dans le jeu fort physique qu’a demandé le metteur en scène. Sa Poupée est d’ailleurs très applaudie par un public toujours ravi des prouesses vocales des coloratures. Pourtant, elle ne réussit pas à faire oublier celle de Natalie Dessay. Sans doute parce que les inventions hardies du rôle avaient non seulement été créés pour celle-ci mais, à l’évidence, inspirées par sa personnalité, voire ses trouvailles de comédienne. Chaque geste lui allait comme un gant ; elle était Olympia. Calqués sur une autre chanteuse, ils fonctionnent, car c’est toujours drôle de voir la poupée se servir d’un éventail comme d’un micro ou de « prendre son pied » à mimer l’amour, mais… mais… sans la présence, l’aisance et le grain de folie de Dessay, l’interprétation n’est pas aussi éblouissante.

Une petite déception également à l’égard de Franck Ferrari dont on aimerait plus de mordant, plus de noirceur dans les rôles méphistophéliens de Lindorf, de Coppélius, du Docteur Miracle et de Dapertutto. Les rôles féminins sont plutôt bien tenus : Inva Mula se révèle une touchante Antonia, notamment à la fin de son acte, Béatrice Uria-Monzon n’a aucun mal à incarner les vamps, même si l’on regrette son articulation incompréhensible, et Ekaterina Gubanova (La Muse/Nicklausse) dispose d’une voix charnue qui compense des nasales approximatives. Côté messieurs, on remarque la voix saine et l’excellente diction d’un second rôle, Jason Bridges (Nathanaël). Le rôle-titre est incarné par Giuseppe Filianoti : sans être inoubliable, son interprétation est assez convaincante et son timbre intéressant, notamment dans le médium, mais on déplore des aigus poussifs.

À la tête de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris, Jesús López Cobos ne semble pas tout à fait à l’aise dans ce répertoire. Sa direction est parfois un peu molle et on le sent assez distant du plateau, ce qui n’aide guère les chanteurs à remplir l’immense espace de Bastille. En revanche, le Chœur s’implique totalement dans cet opéra dont on retiendra surtout la mise en scène qui passe les ans avec aisance. Privilégiant la mise en abyme (la présence d’un rideau rouge et or traité différemment selon les actes rappelle constamment qu’on est dans les coulisses d’un théâtre), elle est classique en apparence mais, en réalité, très imaginative. Comme il y a dix ans, elle marque l’esprit par la puissance de ses images. Parmi les plus frappantes : la rangée de fauteuils d’orchestre en guise de gondoles ou la traînée de lumière au début du prologue et à la fin de l’épilogue. Superbe !

IS