Chroniques

par françois jestin

Les Troyens à Carthage par François-Xavier Roth
Chœur de l’Orchestre de Paris, Chóru Narodowe Forum Muzyki

Wrocławskiego et Jeune Orchestre Européen Hector Berlioz–Isère
Festival Berlioz / Château Louis XI, La-Côte-Saint-André
- 22 août 2021
François-Xavier Roth et le vaste effectif des "Troyens" de Berlioz
© bruno moussier

Après le Gala Flaubert puis Israel in Egypt d’Händel ces deux derniers jours [lire nos chroniques de l’avant-veille et de la veille], voici du Berlioz, rien que du Berlioz, pour notre dernière soirée au festival dédié au natif de La-Côte-Saint-André. Les deux premiers actes des Troyens, soit La prise de Troie, y ont été donnés en 2019. Après l’année blanche en 2020 pour cause de pandémie de Covid-19, voici à présent la suite et fin, soit les trois actes des Troyens à Carthage. Comme pour certaines séries télévisées, un prologue est inséré avant l’opéra proprement dit, qui rappelle rapidement les épisodes précédents. Sociétaire de la Comédie-Française, c’est Éric Génovèse [lire nos chroniques du Privilège des chemins, de Così fan tutte, Die Schule der Frauen et Anna Bolena]qui tient ce bref rôle du rapsode ; « Sœur d’Hector, va mourir sous les débris de Troie ! », sa dernière phrase, correspond à l’ultime intervention de Cassandre à la fin du premier des deux actes de La prise de Troie.

L’orchestre et le chœur sont les mêmes qu’il y a deux ans, à savoir le Jeune Orchestre Européen Hector Berlioz–Isère et le Chœur de l’Orchestre de Paris, renforcé cette fois par le Chœur du Forum National de la Musique de Wrocław (NFM) – Chóru Narodowe Forum Muzyki Wrocławskiego, en version originale. Chef berliozien émérite et reconnu, François-Xavier Roth – dont notre équipe vient de saluer d’une A! l’enregistrement de Lab.Oratorium de Philippe Manoury [lire notre chronique] – obtient un formidable résultat des forces en présence… tout en dirigeant avec un crayon à papier ! Après le stylo Bic de René Jacobs (quand je lui en avais parlé, il le sortait de sa poche avec un « oui voyez-vous, c’est très pratique ! »), on ne peut que recommander cette baguette… magique par moments ! Le défi est en effet de taille pour coordonner la centaine de choristes très bien préparés par les chefs de chœurs Lionel Sow et Agnieszka Franków-Żelazny, autant dans leur globalité que pour huit de ses membres venus chanter en avant-scène la Gloire à Didon. Le texte est, dans l’ensemble, aisément compréhensible, les surtitres aidant par moments. Pour la partie musicale, l’orchestre-académie du Festival Berlioz est un subtil alliage entre jeunes étudiants musiciens et instrumentistes plus expérimentés de l’orchestre Les Siècles, formation créée en 2003 par Roth. L’ensemble des cordes présente un soyeux magnifique, les bois sonnent avec expressivité, les cuivres d’époque avec un brillant qui cependant n’éblouit pas. La direction musicale construit une architecture à la fois solide et précise, et semble faire couler avec le plus grand naturel cette version absolument intégrale de la partition.

Le plateau vocal est d’excellente tenue, en premier lieu le rôle de Didon, le plus sollicité de la soirée, incarné par Isabelle Druet. Arrivant comme une reine sur le plateau en robe verte décorée de brillants, le mezzo charme rapidement par sa musicalité impeccable et la variété des affects, entre état amoureux, accents plus vindicatifs et agressifs ensuite, avant les douloureux Je vais mourir et Adieu, fière cité du dernier acte. La phrase conclusive « je ne vous verrai plus, ma carrière est finie ! » de l’air précédemment cité, émise avec des trémolos sur le dernier mot, est en particulier glaçante. Le rôle est parfaitement dans la tessiture de l’artiste dont on apprécie par ailleurs la diction superlative.

La prononciation du ténor allemand Mirko Roschkowski est également une des bonnes surprises de la soirée. Son Énée manque peut-être d’un peu d’héroïsme sur les climax (« bienfaitrice des miens ! »), mais la ligne vocale est soignée, le timbre séduisant et les intentions sont présentes. Dans ces conditions, le duo de Didon et Enée Nuit d’ivresse et d’extase infinie ! est un véritable enchantement.

Les deux ténors Julien Dran (Iopas) et François Rougier (Hylas) enchantent aussi par leurs douces interventions, un moment de pure poésie délivré parfois en voix mixte par le premier au cours de l’air Ô blonde Cérès et une merveille de tendre mélancolie, Vallon sonore chanté d’un ferme instrument par le second en début de dernier acte. Delphine Haidan (Anna, puis Spectre de Cassandre) n’atteint pas au même ravissement, son registre grave trop peu consistant la mettant régulièrement en inconfort – le duo entre les deux sœurs Didon et Anna s’en trouve déséquilibré, par exemple, et perd en sublime.

On regrette que le rôle d’Ascagne soit si peu développé, tant la voix riche, noble et projetée avec force d’Héloïse Mas impressionne. Les clés de fa complètent avantageusement l’affiche : Vincent Le Texier (Narbal, Spectre de Priam), François Lis (Panthée), Thomas Dolié (Sentinelle, Spectre de Chorèbe) et Damien Pass (Sentinelle, Spectre d’Hector, Mercure). Chose curieuse, alors que les concerts des deux soirs précédents furent enregistrés, les micros ont disparu… et c’est bien dommage !

FJ