Chroniques

par bertrand bolognesi

Like flesh
opéra de Sivan Eldar

Opéra national de Montpellier / Comédie
- 10 février 2022
Maxime Pascal joue "Like flesh" (2022), un opéra de Sivan Eldar
© simon gosselin

Les oiseaux sont partis. La vie est sinistre, dans la sombre forêt dont les arbres ne sont élevés que pour la tronçonneuse. Le couple s’étiole. La joie s’en est allée, elle aussi. Dans le rejet de la situation, elle se transforme soudain en arbre, telle Daphné changée en laurier pour échapper aux assiduités d’Apollon. Ici, nul autre dieu que le rejet du monde tel que nous l’avons fait. Tandis que l’homme n’a de cesse de tuer et toujours plus tuer les arbres, y compris cette femme qui, à l’aube de l’âge mûr, lui échappe, une étudiante use de tout son amour pour la libérer de son nouvel état. Car il s’agit bien d’amour, un amour qui sans conteste se place à des années-lumière de celui, mort lui aussi, qui jadis unit les aînés.

Créé le 21 janvier à Lille, Like flesh, opéra de Sivan Eldar, est repris pour trois représentations à l’Opéra national de Montpellier, sur la scène de la Comédie dont les proportions conviennent parfaitement à ses format et dispositif. Dans le décor ingénieusement rudimentaire et la mise en scène efficace de Silvia Costa [lire notre chronique du 3 juillet 2021], nous découvrons les quinze scènes d’une œuvre conçue avec la complicité de Cordelia Lynn quant au livret. La sottise de nos sociétés face à la nature qu’elles détruisent n'y est pas âprement dénoncée mais simplement montrée, dans ses conséquences les plus terribles, comme l’incendie de la forêt, à l’instar de celui vécu en Australie tout récemment. Et tandis que les animaux suffoquent, hurlent de peur et meurent dans d’atroces souffrances, au lieu d’interroger le meilleur de lui-même afin d’imaginer une manière respectueuse de la vie et de la sienne propre, d’ailleurs, l’être humain continue de brûler tout avenir.

Une alvéole se dessine frontalement sur le rideau du début du spectacle. Puis la scène se découvre, avec les échos de cette découpe, de part et d’autre, qui accueillent les vidéos de Francesco D’Abbraccio : savamment travaillées, elles s’apparentent à une version animée de gravures anciennes, d’une si haute valeur esthétique qu’elles véhiculent l’évidence de la beauté du monde… sans nous. Les gagne l’écarlate des braises de la destruction. Les oiseaux ne reviendront plus. Dans la lumière précise d’Andrea Sanson, en adéquation avec cet environnement particulier, sans doute point si malléable, les costumes de Laura Dondoli agissent en discrète intelligence avec l’ensemble du projet, idéalement.

Outre l’invention et l’usage d’effets acoustiques particuliers, réalisés à l’Ircam par Augustin Muller et projetés dans la salle par Florent Derex, par le biais – entre autres – de tout un peuple de petits haut-parleurs disséminés dans les rangs, d’où sourdent diverses sonorités, la musique de Sivan Eldar [lire nos chroniques du 9 septembre 2018 et du 16 février 2019] modifie avec un raffinement indéniable la perception de la fosse. La métamorphose se trouve donc tissée dans l’orchestre lui-même où se cisèle un univers personnel séduisant et émouvant, doté d’une écriture vocale attachante. Ainsi de la Forêt pour laquelle l’artiste a composé des ensembles vocaux d’une délicatesse infinie dont la polyphonie renvoie aux subtils consorts de la période élisabéthaine. Le recours à des scansions fort tendues n’y est pas exclu, tout moyen expressif trouvant bonne place dans son arsenal artistique. Les soprani Adèle Carlier et Hélène Fauchère, le contre-ténor Guilhem Terrail, le ténor Ruairi Bowen, le baryton René Ramos Premier et la basse Florent Baffi forment un sextuor sylvestre de toute beauté.

Nous serions tentés de dire qu’à trois solistes est confiée la part vocale dramatique de l’œuvre, ce qui pourtant serait faux, la réussite de Like flesh se logeant d’abord et avant tout dans le fait que la présence humaine est le facteur d’un drame qui, avant de devenir le sien, est celui de la Forêt. Le soprano Juliette Allen se charge du rôle de L’Étudiante avec une fraîcheur convaincante [lire notre chronique des Aventures de Pinocchio]. On retrouve le baryton ferme et phrasé avec avantage de William Dazeley dans la partie du Forestier [lire nos chroniques d’Hanjo, La petite renarde rusée, Capriccio et Hänsel und Gretel]. Enfin, Helena Rasker prête un contralto généreux et d’une grande musicalité au chant de la Femme.

Au pupitre de l’Orchestre national Montpellier Occitanie, Maxime Pascal signe une lecture soignée qui fait apprécier les grandes qualités de l’œuvre de Sivan Eldar. Coproduit par plusieurs institutions, Like flesh gagnera dans quelques mois les scènes anversoise et nancéienne. On l’y reverra avec plaisir !

BB