Chroniques

par bertrand bolognesi

Lohengrin
opéra de Richard Wagner

ANO / Cité des Congrès, Nantes
- 14 septembre 2003
Lohengrin de Wagner à la Cité des Congrès de Nantes
© vincent jacques | ano

La représentation nantaise ouvre son rideau sur une scène regroupant les artistes des chœurs, les techniciens, la majeure partie du personnel de plateau. Ils annoncent, le plus pacifiquement qui soit, que le spectacle aura bien lieu et à affirment leur adhésion au mouvement de résistance des intermittents. Peut-être est-il maladroit de se présenter de cette manière, le public ayant à faire un tri difficile entre un besoin naturel et légitime de divertissement qui n’entend pas forcément s’encombrer de la vie de ceux qui le lui permettent, les dérapages estivaux d’un militantisme souvent mal compris et le franc lavage de cerveau orchestré par les télévisions depuis quelques semaines, tendant à dresser l’opinion contre les revendications tragiquement justes des principaux intéressés. L’auditoire réagit violemment, n’hésitant pas à insulter des artistes qui vont pourtant, d’ici quelques minutes, lui donner son plaisir en faisant leur métier.

Ces derniers mois, on put assister plusieurs fois à des interventions de ce genre. Toujours le public de Nantes s’est montré respectueux, calme, voire solidaire. Pourquoi éprouver aujourd’hui le besoin de hurler des propos haineux ? Y aurait-il deux mondes : celui des jouisseurs installés dans leur fauteuil, digérant le pot-au-feu dominical de belle-maman face à la scène, et celui d’hommes qui ne devraient s’évertuer qu’à cultiver leur art à la perfection dans n’importe quelles conditions ? L’intolérance constatée dans les maisons d’opéra du sud vis-à-vis de ces questions gagne-t-elle le nord ? Sans doute aurait-il mieux valu jouer Lohengrin et se présenter au moment des saluts. Mais le public aurait-il supporté de rester cinq minutes de plus après ces quelques heures wagnériennes ? Gageons qu’un grand nombre serait sorti en se gaussant. Que feront messieurs les pot-au-fistes endimanchés lorsque leurs élus finiront de faire disparaître non seulement le spectacle vivant, mais aussi l’école, ou la pédagogie sociale, couvrant le territoire de maisons d’arrêt et de cimetières ? Les marchands d’orange et de roses blanches en tireront quelque bénéfice.

Philippe Godefroida imaginé une mise en scène mêlant magie et religion pour un Lohengrin très tranché où le rôle-titre fait figure de anti-héros cynique finissant par se prendre à son propre jeu. L’idée est intéressante, générant des répercussions sur chaque personnage, au point de construire un univers d’ambition et de calcul assez sordide. À l’évidence, le prédicat de départ aurait gagné à se développer au-delà des figures habituelles de Godefroid. Un certain rapport à la Passion dévie au fil du spectacle, si bien qu’on en perd la cohérence. Dans cette proposition, nul espoir d’élévation, jamais. Tout ira de noir à très noir, comme c’est souvent le cas dans les travaux de cet artiste. Autant la recette nous séduisait l’hiver dernier dans Wozzeck, autant la sauce ne prend pas cette fois.Et l’œuvre ? Un metteur en scène peut prendre la liberté de la détourner, certes, mais le jeu en vaut-il la chandelle si l’opération dénature la source sans ne rien lui apporter ? Un coup d’épée dans l’eau.

La distribution vocale bénéficie d’une certaine homogénéité.
L’Oiseleur d’Alan Ewing connaît quelques difficultés au début, engorgeant certains sons. Peu à peu la voix se libère, déployant un timbre tout à fait approprié au personnage. Hannu Niemela livre un Telramund extrêmement vaillant dans une couleur agressive, acide même, mais pas toujours fiable sur certains intervalles. Appréciable se montre l’excellent Hérault de Jean-Sébastien Bou dont surprend la clarté de timbre, amenant chaque phrase le plus musicalement qui soit. Saluons John Horton Murray (Lohengrin) d’avoir assumé cette représentation malgré une évidente déficience physique. Beaucoup de ses confrères auraient annulé, mais lui tient son rôle, comme il peut – là encore, quelquespot-au-fistes s’autorisent à huer sans réfléchir plus loin que leur soupière : M. Murray a suffisamment montré, ici et là, ses grandes qualités pour qu’on ne doute pas qu’il soit malade, ce dimanche, et qu’on le félicite d’avoir, en vrai professionnel, tenu même précairement son engagement.

Les deux personnages féminins enthousiasment la salle, à juste titre.
Gilian Webster donne une Elsa attachante sans mièvrerie, d’une voix toujours égale et parfaitement maîtrisée. Julia Juon campe une Ortrud réellement inquiétante, sans s’encombrer du jeu caricatural dont on l’affuble souvent, servant son rôle d’un timbre d’une grande expressivité, avantagé d’une couleur extraordinairement riche et d’assez d’espace et de puissance pour merveilleusement nuancer. Philippe Godefroid mène fort bien le second acte : Ortrud s’y trouve voilée, évitant ainsi la tentation d’en faire une sorcière grimaçante, et amplifiant le suspens jusqu’à l’exposée de ses plans ; du coup, la scène prend une grande dimension magique, sans passer par les accoutrements de l’épouvante.

Si le Chœur d’Angers-Nantes-Opéra, renforcé du Chœur du Duo de Dijon, n’est guère convainquant, l’Orchestre National des Pays de Loire prouve d’une grande forme. Toutes les difficultés de la partition sont dépassées Au pupitre, Guido Johannes Rumstadt offre une lecture d’une grande clarté, sans céder aux risques d’emphase d’un répertoire réputé pour l’élasticité de durée qu’il continue de subir. Aujourd’hui, on pourra parler d’une version fidèle, sobre, lyrique juste ce qu’il faut. Le climat du deuxième acte s’installe idéalement dans des choix de couleurs judicieux.

BB