Chroniques

par katy oberlé

Lucio Silla
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Théâtre royal de La Monnaie, Bruxelles
- 15 novembre 2017
passionnant Lucio Silla (Mozart) de Tobias Kratzer à La Monnaie de Bruxelles !
© bernd uhlig

Huitième et dernière représentation, ce soir à La Monnaie, de cette nouvelle production de Lucio Silla. Cet ouvrage seria encore rarement joué de Mozart réintéresse pourtant les maisons d’opéra, ces derniers temps, comme en témoignèrent les mises en scène de Claus Guth à Madrid, en septembre, et d’Harry Silverstein au Buxton Festival, cet été [lire notre chronique du 20 juillet 2017].

Avec une distribution assez concluante et plutôt jeune, l’institution bruxelloise retrouve ses murs, après une période d’exil, le temps de faire peau neuve. Le rôle-titre est tenu avec élégance par Jeremy Ovenden dont le style, parfaitement mozartien, n’est jamais en faute [lire nos chroniques de Solomon, Ercole amante et Semele]. La souplesse de l’émission est son atout, ainsi qu’une façon délicate d’amener chaque phrase, qualités qui font largement passer l’impact trop confidentiel d’une voix au médium absent. La performance théâtrale est un atout de taille, surtout dans une production si forte. Elle aussi très précise avec le texte et engagée dans le jeu, Anna Bonitatibus campe un Cecilio génialement musical ! Le travail des nuances est une vraie merveille d’expressivité. Le soprano slovaque Simona Šaturová offre une grande allure et une louable finesse d’interprétation vocale à l’autre rôle travesti, Cinna, pas si facile. On retrouve avec plaisir le cuivre spécifique du timbre de Carlo Allemano [lire nos chroniques du 12 janvier 2017, des 17 septembre et 12 janvier 2016, du 12 août 2012 et du 3 octobre 2004], bien que son Aufidio accuse de nombreuses marques de fatigue. Alors qu’on la connaissait dans des répertoires plus modernes, Ilse Eerens révèle une belle affinité classique avec sa Celia lumineuse [lire nos chroniques de Moses und Aron, Œdipe et Lady Sarashina]. On aime beaucoup la tranquillité de son legato et l’adresse qui définit tout son chant. Très remarquée en Lucia récemment à Lausanne (Donizetti, Lucia di Lamermoor), Lenneke Ruiten s’avère une Guinia comme l’on n’aurait osé en rêver ! La fermeté de la projection est idéale, de même que la grâce étonnante dans les passage di bravura [lire nos chroniques du 4 octobre 2017, du 2 juillet 2016, du 3 décembre 2013 et du 27 mai 2011].

Main dans la main avec ce que montre la scène, le Piémontais Antonello Manacorda signe une interprétation vive mais jamais brutale, à la tête de l’Orchestre Symphonique de La Monnaie dont les musiciens défendent l’œuvre avec un zèle qu’on rencontre rarement. À Lucio Silla, composé par un bambin de seize ans, il accorde tout l’emportement et la ferveur de la jeunesse, voire cette franchise sans appel que la maturité vient estomper. Il est évident que le chef italien a ouvert les oreilles aux propositions des baroqueux dans ce répertoire précoce qui garde un pied dans le passé galant, loin de lamise en ordre plus épurée des opus à venir.

Avec la complicité de Rainer Sellmaier pour les costumes et les décors, le jeune Tobias Kratzer (trente-sept ans), qui fit parler de lui avec un Zoroastre décapant à la Komische Oper de Berlin (Rameau) et qu’on attend à Bayreuth pour un nouveau Tannhäuser (après sa Götterdämmerung de Karlsruhe), signe une mise en scène puissante. On peut imaginer qu’il n’a pas été donné de convaincre les chanteurs de le suivre dans son option, mais il y est arrivé. Une villa dernier cri, avec tout le confort, dissimulée dans les arbres et gardée par des bergers allemands, est le repère d’un dictateur d’aujourd’hui, plus parrain que dirigeant politique – mais à l’heure actuelle, est-il possible de faire la distinction ?... Les caméras de surveillance permettent de garantir la sécurité de Silla, mais aussi de lui fournir des images croustillantes de Giunia, alors livrée en direct, sans le savoir, à sa sensualité – vidéo de Manuel Braun qui, durant l’Ouverture, affiche la gueule de puissants peu recommandables, tels Adolf Hitler, Kim Jong-un, John Kennedy ou Vladimir Poutine.

Les contrastes de la scénographie sont admirablement éclairés par le travail méticuleux et très précis de Reinhard Traub aux lumières. Avec un parti pris de caractérisation costaude des personnages, Kratzer dirige des situations qui intègrent efficacement la trame du livret, sans le heurt habituel des actualisations de ce type. Sans entrer dans le détail de ce thriller mené par un Silla psychotique frappé par la grâce (le repentir), il faut applaudir la force de cette proposition d’une extrême cohérence, qui, pour en afficher parfois les aspects extérieurs, n’a rien à voir avec les élucubrations de productions sottement provocatrices. Bravo – on en redemande !

KO