Chroniques

par david verdier

Madama Butterfly | Madame Butterfly
opéra de Giacomo Puccini

Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 16 janvier 2011
© elisa haberer |opéra national de paris

Il y a des spectacles sur lesquels le temps ne semble pas avoir de prise et qui portent en eux la marque de leur créateur comme une signature intime. Ainsi, cette Madame Butterfly, révélée par Bob Wilson en… 1993, et qui semble défier les modes et les courants. On pense avec une sorte de nostalgie à ceux qui ne connaîtraient pas encore le travail du metteur en scène américain et qui se rendraient à ce spectacle pour la première fois. Ils y trouveront le condensé d'un style reconnaissable du premier coup d'œil et maintes fois reproduit depuis, avec plus ou moins de bonheur.

Wilson, c'est évidemment une gestuelle hiératique, des déplacements calculés au millimètre, comme si le chanteur devait « porter » ses phrases par une attitude en adéquation avec une certaine « moralité visuelle ». La direction d'acteurs joue sur des stases et des suspensions de gestes qui rapprochent l'espace opératique du monde graphique de l'estampe (cf. la procession nuptiale et l'irruption du Zio Bonzo). Certes, on pourra s'irriter de ce « chic-sophistiqué », à la frontière du narcissisme exagérément rigoriste-zen… mais il reste que la direction d'acteurs ne fait jamais défaut et ce, malgré cette insolite superposition stylistique entre marionnettes kabuki et vérisme italien.

Dans un opéra où les actes sont des tableaux, l'importance du jeu est mise en valeur par le tissage entre tempérament du personnage et température de la couleur projetée en arrière-fond (subtile alternance entre vert pâle, bleu cobalt et rouge écarlate). La lumière est l'élément primordial qui donne au spectacle sa cohérence formelle. L'utilisation de la poursuite n'est pas toujours aussi parfaite qu'on pourrait souhaiter, rendue complexe par la distance entre la scène et les projecteurs. Il faut en un instant plonger toute la scène dans le noir et braquer un projecteur sur une main levée. Autre moment remarquable, cette situation tristanesque inversée dans laquelle l'héroïne, immobile dans les bras de son fils, attend le bateau qui doit arriver tandis que la lumière du jour apparaît peu à peu…

Moins radical et géométrique que son Ring zurichois de 2003 (repris au Châtelet en 2005), le plateau joue ici le contraste entre lignes courbes et droites. Il s'agit de délimiter des espaces scéniques totalement abstraits, sans doute de manière arbitraire, en enfermant le lyrisme narratif dans un haïku visuel un rien trop systématique ; ainsi la légère ondulation du chemin menant au carré impeccable simulant la maison de Pinkerton ou ces déplacements hors-champ dans les coulisses latérales. On appréciera en revanche la subtile disparition des topoïs japonisant (cerisiers et geishas en fleurs). Toute cette précieuse iconographie passéiste se trouve réunie dans le richissime programme de présentation (dira-t-on enfin la qualité des programmes de l'Opéra de Paris à l'heure où la quasi-totalité des autres salles parisiennes les ont fait disparaître ?).

Côté voix, Micaela Carosi parvient à tirer le personnage de Cio-Cio San hors du traditionnel fatras naïf de catholicisme et de japonisme. Tant pis pour les tenants de la fragilité adolescente et les minauderies de rigueur, elle mène le plateau vocal avec l'autorité d'une Isolde en miniature et contraint les autres chanteurs à sortir de la routine. Le premier à en faire les frais est assurément le Pinkerton assez fade de James Valenti, au médium amidonné et souvent terne. Le Sharpless de Anthony Michaels-Moore incarne relativement bien la lâcheté du personnage, malgré quelques décalages dans le phrasé. Un rien excessif au premier tableau, le vibrato d’Enkelejda Shkosa (Suzuki) s'assouplit notablement au deuxième, elle trouve ses marques et finit par rivaliser de splendeur et d'incarnation, tout comme le Gorode Carlo Bosi. Mauvais points, par ailleurs, pour des seconds rôles tout juste audibles (Vladimir Kapshuk et Anna Wall, respectivement Yamadori et Kate Pinkerton) et un orchestre maintenu en deçà de l'espressivo par un Maurizio Benini décidément très discret.

DV