Chroniques

par irma foletti

Maria Stuarda | Marie Stuart
opéra de Gaetano Donizetti

De Nationale Opera, Amsterdam
- 21 mai 2023
"Maria Stuarda", opéra de Gaetano Donizetti donné à Amsterdam
© ben van duin

L’Opéra d’Amsterdam (De Nationale Opera) poursuit sa Trilogie Tudor – du nom de la dynastie en jeu dans le destin des trois reines à faire les sujets des opéras composés par Gaetano Donizetti. Après Anna Bolena proposée il y a un an, voici le deuxième volet, Maria Stuarda, confié aux mêmes maîtres d’œuvre, Enrique Mazzola à la direction musicale et Jetske Mijnssen pour la mise en scène. Le face-à-face muet entre Elisabetta et Maria, avant toute note de musique, plante le décor du drame. Les beaux costumes de Klaus Bruns sont d’époque – la reine d’Angleterre vêtue de blanc et celle d’Écosse de noir – et les décors de Ben Baur impressionnent, deux hautes parois sombres partant en fuite vers une double porte au fond, formant une ambiance sombre et austère comme dans certains tableaux flamands du Rijksmuseum, tout proche. Une riche tapisserie avec licorne et cerf descend des cintres pour marquer la partie de chasse d’Elisabetta dans le parc de Fotheringay, puis, au second acte, la même scénographie vue initialement est reproduite en modèle réduit, comme pour resserrer l’argument qui mène à l’exécution de Maria.

Cette mise en scène de Jetske Mijnssen [lire nos chroniques d’Orfeo et de La divisione del mondo], avec la participation de Luc Joosten pour la dramaturgie, pourrait être idéale si l’on allégeait ou supprimait toutefois certaines des interventions des huit danseuses et danseurs aux figures de la Stuarda ou d’Elisabetta. En effet, ces apparitions récurrentes viennent le plus souvent paraphraser le livret ou peuvent même, par moments, faire sourire, comme pendant le duo entre Maria et Leicester, en dernière partie de premier acte, où celui-ci étrangle une à une les huit Elisabetta en présence ; elles tombent à terre tour à tour, mais se relèvent... et tout est à recommencer ! L’atmosphère lugubre du tableau final est prégnante, le chœur en habit noir et capuche venant se positionner à gauche et droite du décor principal. L’Écossaise meure donc presque seule, Elisabetta étant ici présente, celle-ci qui tente d’abord d’étrangler sa cousine, avant de la prendre dans ses bras, prise soudain de compassion et touchée peut-être par son désespoir.

Les rôles des deux rivales sont formidablement défendus par Kristina Mkhitaryan (Maria Stuarda) et Aigul Akhmetshina (Elisabetta). La première émeut d’emblée dans son air d’entrée, Oh, nube! che lieve per l’aria ti aggiri, où elle se remémore ses jeunes et heureuses années, avant de monter en fureur vers la fameuse conclusion de l’Acte I et les paroles insultantes à l’encontre d’Elisabetta, « Figlia impura di Bolena, parli tu di disonore ?... Profanato è il soglio inglese, vil bastarda, dal tuo piè! ». Le timbre est riche et la musicalité assurée, menant à la longue scène finale, Deh! tu di un umile preghiera, pleine d’émotion [lire nos chroniques de Giasone et des Indes galantes].

L’Elisabetta d’Aigul Akhmetshina se montre encore plus puissante, dotée d’une superbe pulpe vocale qu’elle projette avec une grande ampleur dans l’aigu, et d’un grave également bien nourri. Il faut dire que le dispositif scénique en forme de porte-voix favorise les parties chantées, presque en une manière d’amplification acoustique naturelle. Les confrontations directes entre les deux figures royales sont bien, ce soir, les climax attendus de tension dramatique et vocale.

Troisième rôle d’importance, Leicester est distribué à Ismael Jordi, ténor qui fait forte impression à l’écoute de ses premières interventions, récitatifs autoritaires et belles couleurs belcantistes [lire nos chroniques d’Il Trittico, Doña Francisquita, Mignon et Anna Bolena]. Le déroulé des airs montre ensuite certaines fragilités, en particulier quelques aigus qui manquent d’un peu de chair, et moins de perfection dans l’intonation, mais le chanteur défend globalement son rôle avec une maîtrise suffisante et un certain panache. Parmi les voix graves, on apprécie davantage le baryton autoritaire au grain noble de Szymon Mechliński en Lord Guglielmo Cecil [lire nos chroniques d’Il Bravo ossia La Veneziana, L’enchanteresse, Eugène Onéguine et Il trovatore] que la basse Alexeï Kulagin (Giorgio Talbot), sans que celle-ci ne démérite cependant. L’équipe est très correctement complétée par Sílvia Sequeira pour les modestes interventions d’Anna Kennedy.

À la tête d’un Nederlands Kamerorkest (NKO) de qualité, Enrique Mazzola [lire nos chroniques de La vedova scaltra, Hyperion, Iphigénie en Tauride, La favorita, Poliuto, Mosè in Egitto, Le prophète, Rigoletto et Madama Butterfly, des concerts du 13 mai 2012, du 26 janvier 2014 et du 17 décembre 2017, notre recension du CD Bel canto amore mio, enfin notre entretien de janvier 2015] impulse certains tempi curieusement lents, avec comme premier exemple le chœur initial des courtisans censés se réjouir du prochain mariage d’Elisabetta. Ces lenteurs de rythme marquent encore davantage les contrastes avec les passages rapides, particulièrement à l’intérieur des airs à plusieurs sections. Ainsi plusieurs accélérations amènent-elles encore plus de vie à la musique et de différences de reliefs musicaux, entre des mesures prises piano et certains tutti bien plus éclatants. Préparé par Edward Ananian-Cooper, le Koor van De Nationale Opera montre également une belle forme, d’une cohésion sans faiblesse aussi bien au cours du tableau final, réparti en deux groupes sur les côtés, qu’aligné en deux rangées sur toute la largeur de l’avant-scène.

IF