Chroniques

par françois cavaillès

Marta
opéra de Wolfgang Mitterer

Opéra de Reims
- 19 avril 2016
à Reims, Marta, le deuxième opéra de Wolfgang Mitterer (2016)
© opéra de lille | frederic iovino

Marta ou L'Apocalypse selon Gerhild Steinbuch, tant les visions symboliques, prophétiques et eschatologiques foisonnent dans ce dernier ouvrage, et premier livret, de la jeune dramaturge autrichienne. Froid et asexué, riche en ambiances et en images pénétrantes, ce conte moderne l'annonce haut et fort : la fin du monde est à cette heure. Dès le lever de rideau, on en perçoit les signes avant-coureurs dans un univers sonore luxuriant, mêlant le « classique contemporain » à l'électronique en passant par le free jazz, ainsi que dans les voix plaintives, comme en recherche d'harmonie, de deux parents prostrés contre quelques meubles compacts, grands angles noirs sur fond gris électrique. « Où est Marta ? » se demandent-ils avant de s'enlacer, de se fâcher, se taire...

Dès le Prologue, le texte exprime une mystique du vide. Ensuite, « quinze ans plus tard », apparaît l'enfant-lumière, seule rescapée d'une jeunesse disparue, représentée en vidéo, à la fois proche et lointaine, comme baignant dans une membrane plasmique. Vision fantastique portée par un chœur de huit jeunes gens en tenue noire de guerre urbaine (imper’, bottes, visages cachés) et au chant halluciné – superbe performance des Cris de Paris, dirigés par Geoffroy Jourdain – et par des moyens audio-visuels surpuissants.

En effet, le metteur en scène Ludovic Lagarde ne craint pas de convoquer des esthétiques parfois délirantes pour illustrer l’élan paniqué ou angoissé des personnages et la poésie minimaliste d'un monde à inventer, entre ruines et renaissance, à l'image du vieux roi Arthur entre le repos du deuil de son fils et le réveil dans l'espoir d'une relève aux commandes du pays. La palette des lumières, signée Sébastien Michaud, est large, subtile et nettement divisée en couleurs primaires. Les décors futuristes d’Antoine Vasseur laissent entrevoir un espace de vie entre chaos extérieur et sérénité intérieure. Un à un, grâce à un remarquable travail de métamorphose sur les corps (costumes de Marie La Rocca) et les têtes (coiffures et maquillages par Cécile Krestchmar), des êtres naissent dans l'imagination, offrant au spectateur de très intéressantes références ou interprétations possibles. Ainsi Marta peut ressembler à une poupée désarticulée sortie d'un dessin animé japonais tandis que la marâtre Ginevra impressionne par sa grande allure gothique, sombre et merveilleuse.

Le compositeur autrichien Wolfgang Mitterer distille les effets musicaux, affinant notamment certaines recettes de grosses productions du cinéma actuel – glissandos et notes de piano volumineux, percussions variées, sons de gouttes de pluie en transition et discrètes boucles électroniques diffusés par un son surround inédit dans une salle d'opéra. Tout à fait admirable, séduisante et, souhaitons-le, à enregistrer le plus tôt possible, la création par l'ensemble bruxellois Ictus, avec l’Anglais Clement Power à sa tête [lire nos chroniques du 6 juin 2007 et du 9 septembre 2012], laisse une impression profonde, changeante mais tendue dans l'expression du drame. Grâce soit donc rendue au producteur, l'Opéra de Lille (lieu de naissance de Marta, le 13 novembre dernier) et à la Comédie de Reims et l'Opéra de Reims, ses collaborateurs, car une nouvelle forme d'opéra, bienvenue, est arrivée.

En revanche, le livret ne tient pas toutes ses promesses.
Aussi, pris dans la confusion et les stéréotypes, chargés de brèves sentences en anglais sans le sens lyrique, les chanteurs peinent à briller. Le jeune soprano français Elsa Benoit libère une voix agréable et pleine de charme quand elle parvient à percer d'émotion le difficile rôle-titre longtemps emprisonné. Très en vue et mis en valeur, quelquefois seul en scène, le ténor nord-américain Tom Randle paraît naturel, imposant et convaincant dans l'art de façonner un capitaine félon, brûlé par l'avidité du pouvoir [lire nos chroniques du 5 mars 2015 et du 25 novembre 2014]. Enfin, d'une grande clarté et fort touchante, cette Ginevra n’est que traversée de crises… mais comment donc ? Voilà bien le mystère d'une grande chanteuse, le mezzo allemand Ursula Hesse von den Steinen.

FC