Chroniques

par isabelle stibbe

Mireille
opéra de Charles Gounod

Opéra Garnier, Paris
- 15 septembre 2009
Mireille, opéra de Charles Gounod
© opéra national de paris | a. poupeney

Acheter un logiciel tout neuf qui se révèle daté dès sa sortie, c'est irritant. C'est un peu l'effet de cette production toute neuve qui semble déjà vieillie, tant elle fait appel aux procédés de mises en scène d'hier. Nicolas Joel, on le sait, a choisi de débuter son mandat en programmant Mireille. Soit. L'œuvre de Gounod n'avait jamais été donnée à l'Opéra de Paris – sa dernière représentation sur une scène parisienne datait de 1993 à l'Opéra Comique. Quitte à ressusciter les oubliés de l'opéra français, pourquoi ne pas monter de vraies raretés comme Le Médecin malgré lui [lire notre chronique du 13 février 2005] ou La Reine de Saba du même Gounod ? Quoi qu'il en soit, le pari de la réhabilitation semble compromis. La retransmission télévisée, le soir de la première, aura beau avoir rassemblé 1,1 million de téléspectateurs, nous dit-on, le spectateur d'opéra, lui, se sera profondément ennuyé.

Certes, le livret y est pour beaucoup. L'intrigue dramatique manque de nerf : nul rebondissement, nul coup de théâtre qui viendrait briser la linéarité inéluctable d'un amour contrarié. Le librettiste de Mireille (Michel Carré) n'était certes pas Shakespeare et Frédéric Mistral écrivait plus en poète qu'en dramaturge. Ce n'est guère leur faute si un siècle et demi plus tard, cette histoire de riche fermière amoureuse d'un pauvre vannier peine à nous toucher. Sans doute fallait-il, pour transcender ces faiblesses, une mise en scène nostalgique et délicate propre à faire affleurer la poésie de la Provence et de son chantre Mistral. Ici la nostalgie est ailleurs. Devant la réalisation de Nicolas Joel, elle survient à l'égard des Marthaler ou autres consorts. Car si les chouchous de Gerard Mortier n'ont pas toujours convaincus, au moins nous ont-ils affermis dans le refus des conventions ringardes sur les scènes d'opéra : les scénographies illustratives, les directions d'acteur sommaires, les mises en scène sans vision, qui jettent le discrédit sur l'opéra.

Ici n'est évité que le folklor(ism)e provençal. Hors cette absence bienvenue, tout ce qu'on ne veut plus voir à l'opéra se retrouve. Les décors d'Ezio Frigerio sont naturalistes, voire véristes : au mieux ils sont jolis (le champ de blé du premier acte), au pire mal faits (le mur de pierre semble en carton pâte, la toile de fond figurant une étendue de blé est mal raccordée à cour) ou grotesques (le Rhône sous la pleine lune, comble du kitsch). La direction d'acteurs est inexistante, laissant les chanteurs livrés à eux-mêmes : ne sachant que faire de son corps, Charles Castronovo (Vincent) passe le premier acte les mains dans les poches, Frank Ferrari (Ourrias) mugit son air en faisant trembler la carriole sur laquelle il se tient, Inva Mula (Mireille) montre sa main gauche pour signifier son appartenance à Vincent et ouvre les bras dès qu'elle parle du ciel… Même un vieux routier comme Alain Vernhes (père de Mireille), apprécié dans le même rôle à l'Opéra de Marseille [lire notre chronique du 22 mai 2009], semble se demander ce qu'il fait là.

Et, sans doute parce que la forme influe sur le fond, ce manque d'imagination de la production nuit au chant. Personne n'y bouleverse vraiment. Inva Mula ne remporte pas l'adhésion dans un rôle où elle semble presque toujours mal à l'aise, que ce soit par son français mal articulé, ses aigus ténus, ses vocalises approximatives. Ce n'est que dans leSi ma pauvre mère était là qu'elle se montre vraiment juste. Charles Castronovo paraît constamment ailleurs ; sa voix modeste manque d'ampleur, au point d'être souvent couverte par l'orchestre. Sylvie Brunet (Taven), sans doute la voix la plus intéressante de la soirée, incarne une sorcière plus maternelle qu'inquiétante.

À la baguette, Marc Minkowski dirige avec engagement une partition qui pourtant convainc peut-être beaucoup moins l'Orchestre de l'Opéra national de Paris, apparemment rétif à nombre de ses indications. On reprochera seulement au chef un étirement des tempi parfois malvenu, comme dans l'air du berger où Sébastien Droy (Andreloun) peine, du coup, à tenir la ligne vocale.

IS