Chroniques

par gilles charlassier

Mitridate, re di Ponto | Mithridate, roi du Pont
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 11 février 2016
dans un décor d'Éric Ruf, Mitridate, opéra de Mozart, au TCe (février 2016)
© vincent pontet

Les premiers opéras commis par Mozart retrouvent, depuis une bonne décennie, les grâces des scènes lyriques. Le Théâtre des Champs-Élysées n'échappe pas à la fascination des premiers pas de l'enfant de Salzbourg dans le genre, avec le concours de l’Opéra de Dijon, qui reprend à la fin du mois la production avec le même plateau, et de la maison lilloise. Après la bluette Bastien und Bastienne (1768), Mitridate affronte le répertoireseria dans l'une des premières partitions de cette envergure de la part de celui qui est encore adolescent (1770).

À quatorze ans, le patronage paternel de Leopold s'avère sensible dans cette mise en musique d'un livret inspiré par Racine. On aura beau jeu de s'extasier sur l'inventivité mélodique, perceptible dans les agitations sentimentales comme l'extase d'une sérénité plus introspective, la construction dramatique n'échappe pas à l'exercice appliqué et les matrices mozartiennes affleurent à peine dans l'opposition des deux fils face à un père qui suspend sa miséricorde jusque dans l'antichambre de la mort : moins personnel que Lucio Silla deux ans plus tard, l'ouvrage ne doit son salut qu'à l'enthousiasme des interprètes.

On peinera cependant à le trouver dans la lecture de Clément Hervieu-Léger qui inscrit l'intrigue dans un décor unique de théâtre délabré par la guerre, dessiné par Éric Ruf. La prédominance des tonalités de pénombre des lumières réglées par Bertrand Couderc traduit un souci écologique plus louable, sans doute, que la faible mise en relief d'une dramaturgie passablement linéaire. D'aucuns reconnaîtront dans cette économie les leçons d'un Chéreau, qui n'était pourtant pas à son meilleur dans l'ambivalence du divin Wolfgang, quand la versatilité vestimentaire de Caroline de Vivaise verse trop rapidement dans le système pour conserver une fonction herméneutique reconnaissable.

La consolation viendra d'abord des jeunes gosiers, avec l'Ismene rayonnante de Sabine Devieilhe – facilité dans l'aigu et la musicalité, babil aérien en osmose avec l'écriture vocale, sens de l'ornementation. Dans le seul air qui lui est dévolu, le Marzio de Cyrille Dubois se montre à la mesure de la virtuosité attendue et se confirme résolument comme l'un des ténors légers montants de la nouvelle génération. Ancienne Ismene, Patricia Petibon se montre à l'aise dans le haut de la tessiture d'Aspasia, mais investit difficilement au delà du médium un rôle plus ample. Si Myrtò Papatanasiu affirme un Sifare honnête, sans être parfaitement égal, Christophe Dumaux résume dans un timbre acide et une maîtrise vocale sans faiblesse la cruauté de Farnace.

On saura gré à Michael Spyres d'affronter l'inchantable partie de Mitridate et d'estimables efforts rhétoriques, sans pour autant masquer un instrument ingrat lorsqu'il s'élève trop. Jaël Azzaretti ne démérite pas en Arbate et, sous la baguette énergique d'Emmanuelle Haïm, Le Concert d'Astrée fait résonner la qualité de ses pupitres, sans parvenir cependant à sauver un opus hors du cercle des convaincus.

GC