Chroniques

par irma foletti

Moïse et Pharaon
opéra de Gioachino Rossini

Rossini in Wildbad / Trinkhalle, Bad Wildbad
- 28 juillet 2018
Fabrizio Maria Carminati joue Moïse et Pharaon (1827), opéra de Rossini
© patrick pfeiffer

À l'issue de cette représentation de Moïse et Pharaon, composé en 1827 pour l'Opéra de Paris, on ne peut qu'être admiratif devant le résultat obtenu par Rossini in Wildbad dont les moyens sont beaucoup plus modestes que bien d'autres manifestations estivales. L'ouvrage est mis en scène par Jochen Schönleber, intendant et directeur artistique du festival, dans une production globalement cohérente.

On entre dans le vif du sujet dès l'Ouverture, lorsqu'un jeune est tabassé par trois soldats, puis qu'est pleuré son cadavre porté quelques instants plus tard. Les costumes sont actuels. Des images de barbelés, de désert, sont projetées en fond de plateau. Un praticable sur roulettes, en forme de livre géant, est poussé vers l'avant de la scène ; il sera ouvert par moments. Sur les projections qui évoquent la ville de Memphis, on reconnait le quartier de La Défense, dans un futur plus ou moins éloigné, avec la Grande Arche et ses tours actuelles mais aussi d'autres restant à construire, plus hautes et imposantes. Pour la fête chez les Égyptiens au troisième acte, le Pharaon et sa famille sont assis dans des fauteuils sur le livre géant et assistent à un spectacle virtuel, les images en fond alternant entre un ballet au ralenti et des clichés de l'intérieur de l’emblématique Palais Garnier, la maison d’opéra de Paris depuis 1875 – le lieu de la création est la salle Le Peletier. La musique de ballet est sobrement illustrée : les couples en tenue de soirée défilent en ligne, en cercle, un couple valse, très bien... puis un deuxième, nettement moins expert ! À l'arrivée de Moïse, Anaï débarque en tutu, comme extraite de l'écran à l'arrière. Son corps est rapidement couvert d'un voile noir.

On n'évite pas les valises portées par les femmes ni les mitraillettes saisies par les hommes au quatrième acte, devant de petites séquences filmées liées à la création d'Israël, la Guerre des six jours, les premiers campements, etc. Précédemment, l’on sourit tout de même de bon cœur à la vue des soldats égyptiens repoussant les Hébreux, trois malheureux en uniformes et casques blancs, boucliers transparents, paraissant doux comme des agneaux, mais parvenant cependant à contenir la foule. Le passage final de la Mer Rouge, parfois délicat à résoudre pour un metteur en scène [lire notre chronique du 23 juillet 2017], est traité sobrement à l'aide de projections rouges d'images de vaguelettes sur la mer qui peuvent aussi être prises pour de la lave.

La distribution vocale est homogène et d'une remarquable qualité, sans véritable faiblesse qui pourrait constituer un maillon faible. Alexey Birkus tient son rang en Moïse, joli timbre d'une certaine ampleur et au français correct [lire notre chronique du 23 avril 2018]. On le préfère à l'autre basse Luca Dall'Amico (Pharaon), pas toujours parfaitement juste ni stable, mais dont l'agressivité de l'accent convient bien à ce personnage de méchant [lire notre chronique du 27 septembre 2016]. Randall Bills impressionne en Aménophis, par un style élégant, une remarquable diction, des moyens souverains dans le registre aigu et très véloce dans ses traits d'agilité, tandis que l'autre ténor, Patrick Kabongo [lire notre chronique du 26 juin 2015], fait un sans-faute dans le rôle un peu moins exigeant d'Eliézier ; son français est idéal et il varie les nuances, en particulier quelques notes intelligemment émises en voix de tête sur les aigus les plus aériens.

Dans les rôles secondaires, la basse Baurzhan Anderzhanov (Osiride, Voix mystérieuse) et le ténor Xiang Xu (Aufide) sont sans reproches [lire notre chronique de La cambiale di matrimonio]. Côté féminin, Silvia Dalla Benetta s'épanouit davantage en Sinaïde. Dans ce rôle plus central que Zelmira, interprété hier [lire notre chronique de la veille], elle fait preuve d'un grand engagement et semble survoltée, par instants. Le second soprano, Elisa Balbo (Anaï), est sonore dans le registre aigu, mais beaucoup plus discret dans le grave, par moments difficilement audible lors des duos ou des ensembles. Elle a aussi parfois un peu de mal avec les passages les plus virtuoses, comme son air de l'Acte IV, concentrant son énergie sur des aigus lancés avec générosité. La projection du mezzo Albane Carrère (Marie) est plus modeste, le français est d'une qualité évidemment parfaite mais les interventions sont trop discrètes [lire nos chroniques des 15 mai et 17 septembre 2016].

Les artistes du Górecki Chamber Choir réalisent un tour de force, dans un idiome qui oscille, selon les syllabes, entre le très correct et l'exotique. L'accompagnement de Moïse dans la prière Des cieux où tu résides est rempli d'émotion. Fabrizio Maria Carminati, ancien premier chef invité de l'Opéra de Marseille, mène tous les participants à bon port [lire nos chroniques d’Il Pirata, La Gioconda, I Capuleti e i Montecchi, La sonnambula et Adriana Lecouvreur]. Les premières mesures, pas bien en place, laissent craindre pour la suite, mais les bons réglages sont rapides, l'orchestre des Virtuosi Brunensis nous gratifiant de très beaux moments, entre la douceur de la prière déjà évoquée et le déferlement du final de l'Acte III.

IF